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Eric Andersen

  • ... et la porte s'est refermée, doucement...

    En ce premier jour de juillet, la chaleur était grande sur Paris. Dans le quartier du Panthéon, heureusement, les vieilles pierres et les rues étroites nous apportaient une fraîcheur, relative, certes, mais bienvenue.

    Quand je suis arrivé rue Laplace, un peu avant 19h00, les sanwiches et la bouteille d'eau à la main, quelques habitués entouraient Hervé, pendant qu'à l'intérieur les musiciens et le metteur en son effectuaient les derniers réglages.

    Difficile d'imaginer que les choses avaient changé, que j'allais assister à mon dernier concert d'Acoustic in Paris, l'avant-dernier de la série puisque, le lendemain, les mêmes invités revenaient pour la séance d'adieu.

    Et quels invités! Deux habitués, et deux excellents souvenirs pour moi (des artistes que j'écoute depuis plus de 35 ans): Eric Andersen et Iain Matthews avec, en prime, l'excellent guitariste et chanteur "Americana" originaire des Pays-Bas, mais avec une partie de sa famille qui est canadienne, Ad Vanderveen.

    Lorsque je suis descendu dans le caveau, la scène était pleine: Eric et Ad étaient là pour le soundcheck en compagnie de 2 charmantes jeunes femmes. Il y avait Ingrid, l'épouse d'Eric Andersen et Kersten de Ligny, choriste d'Ad Vanderveen. Et un piano électrique avait été ajouté au cas où une sardine aurait tenté de se faufiler sur la scène (ce qui, convenons-en, est assez rare sur la Montagne Ste Geneviève mais, à défaut de poisson, il arrive qu'Hervé monte auprès de ses invités...).

    Premier constat: Eric Andersen semblait stressé, de mauvaise humeur et même désagréable avec Patrick, l'homme grâce à qui le son de La Pomme d'Ève a acquis une réputation mondiale. Mais là, les choses étaient plus délicates car on pouvait imaginer qu'à un moment de la soirée cinq personnes vocaliseraient ensemble.

    Les invités se sont ensuite éclipsés pour aller prendre une collation au restaurant d'en face et puis, après un temps un peu long pour ceux qui attendaient, Hervé monta enfin sur scène pour présenter le programme des 2 soirées. Les 2 dernières... Était-il ému? Sans doute, mais il ne le montra pas trop, il avait encore 2 soirées de plaisir (et de tracas, aussi) devant lui.

    Le programme: d'abord Ad Vanderveen et Kersten de Ligny, puis Iain Matthews (avec Ad) et enfin Eric Andersen avec Ingrid... et Ad. Le sympathique guitariste hollandais allait donc être le trait d'union de la soirée.

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    Ad Vanderveen, vous pouvez le découvrir ici . Il a derrière lui une carrière estimable et son principal titre de gloire (pour moi en tout cas) est d'avoir été membre du trio "More Than A Song" en compagnie d'Elliza Gilkyson et Iain Matthews (il a d'ailleurs composé le titre "More Than A Song To Sing" qui a donné son nom au groupe). Il a sorti récemment un double CD "Still Now" qui présente 2 aspects de sa personnalité et de sa musique. L'un, intitulé "The Living" présente des morceaux interprétés en solo, à la guitare acoustique. L'autre, "The Garage", offre des titres où il est accompagné par son groupe rock, "The O'Neils", certains titres étant communs aux 2 CD.

    Ad, en compagnie de Kersten, nous gratifia d'un set fort agréable qui nous permit de mieux le connaître. Plusieurs titres de "Still Now" (dont le morceau titre) étaient au programme. Guitariste de talent, chanteur et compositeur compétent à défaut d'être original, Ad Vanderveen nous fit passer un bon moment. Il invita Iain Matthews à le rejoindre pour interpréter en sa compagnie "If My Eyes Were Blind" de cet immense songwriter qu'est David Olney. Si Emmylou vient lire cet article, ce n'est pas elle qui me démentira!

    Dans la foulée, Iain débuta son set. Et il nous fit du Iain Matthews, toujours passionné par ce qu'il chante, toujours amoureux de la musique, toujours heureux d'être au milieu de son public. Ad Vanderveen, dès les premières notes, se mua en accompagnateur. Et c'est sans doute dans ce rôle qu'il est le meilleur. Que ce soit à la guitare ou aux harmonies vocales, il donne l'impression qu'il a toujours joué avec son partenaire. Or, dans le cas de Iain, cela faisait plus d'un lustre qu'ils n'avaient pas partagé la scène. Ce set s'écoula donc sans réelle surprise, mais toujours à un très haut niveau avec 2 artistes qui prenaient plaisir à être ensemble. Ad Vanderveen reprit le milieu de la scène pour un très beau "More Than A Song To Sing" avec Iain et Kersten, et puis, au bout des 45 minutes qui lui avaient été imparties, plus quelques minutes, Iain débrancha sa guitare et ce fut le break.

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    Occasion pour moi de disctuter un peu avec Ad et Kersten, de me faire autographier "Still Now", et pour chacun de se rafraîchir.

    Tout le monde, sauf Iain, remonta ensuite sur la scène, au milieu d'une forêt de pieds de micros, de fils élecrtiques, de bouteilles d'eau... Et Eric semblait toujours aussi tendu. Il commença par la sublime chanson de Tom Paxton, "Last Thing On My Mind", qu'ils avaient interprétée ensemble le 29 janvier dernier. Ad était assis dans un coin de la scène, sur le tabouret du piano électrique, aussi à l'aise assis avec Eric qu'il l'était debout avec Iain. Ce dernier, au pied de l'escalier, derrière Hervé, ne perdait pas une miette de la prestation de ses amis.

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    Au prix de quelques efforts pour bouger sa carcasse, Eric passa au piano, pour "Don't It Wanna Make You Sing The Blues", puis plus tard pour "Blue River", ne semblant se décontracter que petit à petit... Cela dit, le plaisir était quand même réel pour le public...

    Les minutes passaient, trop vite. Et Eric, après quelques remerciements sincères pour Hervé dit aussi son attachement au lieu et aux perres millénaires qui le font paraître plus jeune. Il appela ensuite Iain à venir faire le cinquième sur la scène pour un tarot interpréter ensemble (avec les 3 autres) "Close The Door Lightly". Tout un symbole. Le titre était particulièrement adapté aux ciconstances (le lendemain, d'ailleurs, le concert se termina sur ce morceau, avec Hervé en guest-star - j'imagine son émotion). Et c'était aussi un symbole pour moi car j'avais découvert Eric Andersen par ce titre interprété par Ian Matthews (il ne s'appelait pas encore Iain) sur l'album "Tigers Will Survive" en 1972

    Il y eut encore 2 titres, dont l'indémodable "Thirsty Boots", et Eric semblait enfin heureux de chanter. Et Iain, sur la scène, le regardait avec l'oeil ravi d'un fan.

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    Et ce fut l'heure de refermer la porte, doucement...

    Mais aparavant, chacun vint pour un rappel. Ce fut d'abord Iain, seul avec son micro (la guitare était rangée) qui interpréta "Galway To Graceland" de Richard Thompson. Et la bande des quatre reprit à son tour possession de la scène pour une interprétation mémorable et endiablée - Eric semblait dès lors prêt pour le concert du lendemain - d'un titre ancien: "Hey Babe Have You Been Cheatin'".

    Cette fois, c'était bien terminé, pour moi du moins, car je ne serais pas là le 2 juillet...

     

     

  • Veni, vidi, vici...

    TOM PAXTON À LA POMME D'ÈVE - 29 JANVIER 2008

    Eh oui: il est venu, il a vu, il a vaincu... Mais à vaincre sans péril un public conquis d'avance, on ne triomphe pas toujours sans gloire. En effet, personne n'avait envie de résister au gentil envahisseur venu des Amériques après un crochet par les îles britanniques. Tom Paxton donnait en ce mardi soir son seul concert sur le continent et la Pomme d'Ève était trop petite pour accueillir tous ceux qui auraient aimé entendre et voir ce monument du folk song auprès duquel, soudain, même le Panthéon prenait des dimensions plus modestes.

    Au bar, quelques visages connus, comme celui d'Eric Andersen. En revanche ni Graeme Alwright ni Steve Waring n'avaient pu être présents.

    Même les présentations d'usage ont eu une autre dimension. Hervé, bien sûr, nous a souhaité la bienvenue avant de céder la parole à un autre monument du folk, Jacques Vassal, journaliste et écrivain, à qui tous ceux qui aiment ce genre musical savent ce qu'ils doivent. Et puis un ami bordelais, qui œuvre aussi, dans l'ombre, pour la musique folk et la bonne chanson française (je vous en parlerai bientôt, dès que j'aurai collecté les informations ad hoc). Et le spectacle commença.

    Robin Bullock, "Celtic-American guitar player", qui devait accompagner Tom à la guitare, mais aussi à la mandoline et surtout au bouzouki, tout au long de la soirée, nous gratifia d'abord de deux instrumentaux d'une limpide beauté.

    Et Tom arriva. Ce "Pépère" de 70 ans, coiffé de sa sempiternelle casquette, la moustache et les cheveux en bataille attaqua sans baratin superflu un "How Beautiful Upon The Mountain", premier morceau de son nouvel album et, déjà, les chœurs de la Pomme entonnaient le refrain: "How beautiful upon the mountain / Are the steps of those who walk in peace". C'est la grande magie de Tom Paxton: être capable de nous pondre depuis 45 ans des mélodies qui nous accrochent immédiatement et que l'on a envie de chanter avec lui. Tom est un "entertainer" né, dans la tradition des grands folksingers américains. Il enchaîna très vite avec  "George W. Told The Nation", réécriture de "Lyndon B. Johnson Told The Nation". Du vietnam, on est passé à l'Irak, Mais rien n'a vraiment changé.  Ce sera d'ailleurs un des rares moments politiques de la soirée.

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    Puis ce fut un nouveau titre "Out On The Ocean", et d'autres encore comme le très vivifiant "Dance In The Kitchen" ("Dance in the kitchen, Honey / Dance to the radio / Glide 'cross the kitchen floor / That's why they make 'em for / We'll dance again / Like we used to dance when love was new / Come on and dance in the kitchen / Honey, I want to slow dance with you").

    Et le premier set se termina par un autre morceau du même tonneau, le bouzouki de Robin faisant merveille, "And If It's Not True" ("And if it's not true / What harm can it do? / I know what I know / I go where I go"). La Pomme d'Ève rosissait de bonheur alors que chacun chantait à l'unisson avec son hôte du soir.

    Au cours du break, je pus acquérir (en jouant des coudes parce qu'il n'en restait déjà plus que 3 exemplaires) le fameux "Comedians & Angels" que vous allez tous commander "on line" dès que vous aurez lu cet article!

    Après la traditionnelle tombola (j'ai perdu, comme d'habitude), le second set démarra. Encore 2 instrumentaux de Robin Bullock (à découvrir ici), Tom revint pour des "Family songs": chansons pour ses filles, Jennifer et Kate, aujourd'hui âgées respectivement de 42 et 39 ans (dont "Jennifer's Rabbit" et... "Jennifer And Kate" qui figure sur le nouvel album), chansons d'amour pour son épouse de toujours, Midge, dont le magnifique "Marry Me Again". La quasi-totalité de "Comedians & Angels" fut interprétée en ce 29 janvier. Les très beaux "I like The Way You Look" ("I like the way you look / When you don't know that I'm looking at you"), le non moins superbe "Reason To Be" ("She is the one touch of Heaven I know / Here on this vagabond planet below / Deep in the peace of the morning I see / She is my reason to be"). Il y a eu l'hymne à l'amitié, "What A Friend You Are"("When I needed you / You were there before I knew / I needed you").

    Et puis, 2 moments de très grande et très belle émotion.

    D'abord, il y eut "The Bravest", chanson dédiée aux pompiers new yorkais qui ont fait don de leur vie pour sauver les autres le 11 septembre 2001. "Now every time I try to sleep / I'm haunted by the sound / Of firemen pounding up the stairs / While we were running down"). L'émotion était palpable dans le caveau et des frissons parcouraient l'assemblée, les sourires avaient disparu, provisoirement, des visages.

    Et il y a eu aussi "Comedians And Angels", pour moi le plus beau titre du nouvel album, chanson nostalgique, et d'autant plus touchante que chaque mot en est d'une totale sincérité, évoquant les années de Greenwich Village, quand Tom cotoyait quotidiennement les Phil Ochs, Dave Van Ronk et tant d'autres: "They sang to the horizon / A song no pen could write / Comedians and angels / I miss my friends tonight".

    La fin approchait, et Tom appela à son côté son vieux pote de 45 ans, Eric Andersen, qui avait lui aussi enchanté la Pomme le 12 juillet dernier. Je ne vous dirai pas ce que j'ai ressenti en voyant côte à côte ces 2 légendes vivantes: les  mots me manquent et sont trop faibles. Aurais-pu imaginer cela, il y a seulement 2 ans?

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    Et, bien sûr, les deux amis chantèrent les deux morceaux que chacun attendait "Last Thing On My Mind" et "Ramblin' Boy", (et pour ceux - nombreux - qui n'étaient pas là, il est possible d'écouter ces 2 titres en cliquant ici)avant de finir par une reprise du morceau d'ouverture,  "How Beautiful Upon The Mountain". Les voûtes de la Pomme d'Ève doivent encore résonner de ces deux vers: "How beautiful upon the mountain / Are the steps of those who walk in peace", repris par tout le public pour un moment dont chacun aurait voulu qu'il ne s'arrêtât point...

    Mais c'était bien fini. Pas de rappel. Seul Hervé est revenu nous faire partager encore un instant son bonheur, et s'imprégner du nôtre, précisant que Tom, 70 ans ("encore plus vieux que Jacques Vassal") avait beaucoup donné. Que nous étions des privilégiés (il avait diantrement raison!) d'avoir pu être là, nous la centaine de "Happy few". Pour mémoire, Tom rentre d'une tournée en Angleterre où il jouait chaque soir devant 1000 personnes.

    Les prochains (et derniers) concerts annoncés, nous pouvions reprendre notre route, conscients d'avoir vécu un moment rare, un vrai moment de bonheur et de plaisir partagés...

     

  • L'album perdu

    ERIC ANDERSEN: STAGES - THE LOST ALBUM

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    Dernier volet (pour l'instant) de la série consacrée à Eric Andersen. Lors de son concert parisien de la semaine dernière, il a annoncé sa chanson "Woman She Was Gentle" comme faisant partie de son album "Stages". Pour l'occasion, il avait bénéficié de la participation vocale de Joan Baez. (À l'époque, de retour du Vietnam où elle menait sa croisade contre la guerre, elle avait offert cette collaboration en cadeau d'anniversaire à Eric).

    Mais ce disque a une histoire, une histoire tragique.

    Depuis 1965 et "Today Is The Highway", Eric était à la recherche d'une véritable reconnaissance, celle qu'auraient dû lui valoir des titres comme "Violets Of Dawn", "Thirsty Boots" ou "Close The Door Lightly When You Go", que leur beauté intemporelle fait résonner aujourd'hui comme il y a 40 ans. Après sa période "Vanguard" conclue par le nashvillien "A Country Dream", Eric publia 2 albums "Avalanche" et "Eric Andersen" qui, malgré leur qualité, ne rencontrèrent qu'un succès marginal.

    Et puis, en 1972, il y eut "Blue River" avec des titres comme "Faithful", "Is It Really Love At All", "Sheila" ou "Blue River" qui marquèrent un début de célébrité, lui valant d'être rangé aux côtés de gens comme Jackson Browne, Joni Mitchell (qui participe au disque) ou James Taylor. Les critiques furent unanimes et chacun considérait (Lenny Kaye notamment) qu'Eric avait franchi le pas qui jusque-là le séparait de la renommée.

    Eric se remit donc au travail et, en novembre 1972, repartit pour Nashville afin d'enregistrer un nouveau disque et ainsi concrétiser l'espoir généré par "Blue River". Le groupe réuni était constitué de la fine fleur des lieux (David Briggs, Pete Drake, Kenny Malone et quelques autres) ainsi que d'invités de marque comme Joan Baez ou Leon Russell. L'inspiration était là et 9 titres furent enregistrés jusqu'en février 1973. Les mixages furent réalisés, les photos de pochettes réalisées, et le résultat final combla Eric qui avait conscience d'avoir réalisé son chef d'œuvre.

    Parenthèse: pour ma part, j'ai vraiment découvert la discographie d'Eric Andersen à partir de 1975 et de la sortie de "Be True To You". J'ai donc cherché à me procurer l'ensemble de ses disques, ce qui ne fut pas difficile. 2 exceptions: "Avalanche" que mon ami Philippe me dégotta quelques années plus tard d'occasion et en import italien (thanx again Phil), et "Stages", dûment référencé chez Columbia mais apparemment épuisé et introuvable même en collector.

    Ce ne fut que beaucoup plus tard, en 1991, que je connus enfin l'horrible vérité. Eric déclara, à propos de son début de carrière et en particulier de "Stages": "I've made every wrong turn. I've had every bad luck that can happen. So I'm ready for the good luck".

    L'album était donc terminé, promis au succès. Il restait à envoyer les bandes à New York: 30 boîtes de bandes multipistes et 10 boîtes de bandes mixées en 2 pistes. Et l'impossible se produisit. Alors qu'Eric était assis dans un bureau de Columbia Records à New York, un membre de la firme l'informa qu'il venait de recevoir un coup de fil: "Les bandes ont été perdues. Nous n'avons plus rien. Il n'y a plus d'album".

    Columbia était en pleine tourmente, pour d'autres raisons, le directeur, Clive Davies, avait été viré, on allait de réorganisation en restructuration (déjà) et personne ne chercha vraiment a savoir ce qui s'était passé. Les bandes avaient-elles été envoyées, étaient-elles arrivées à New York? Personne n'avait la réponse, personne ne voulait la chercher.

    Ce fut un traumastisme pour Eric qui suivit Clive Davies chez Arista, compagnie que Davies venait de fonder. Il réenregistra 6 des titres de "Stages" pour "Be True To You", mais l'état de grâce était terminé. "Du point de vue de ma carrière, je savais que c'était un désastre", dit Eric, "J'ai réenregistré certains titres mais, bien sûr, ce n'était plus pareil. Ce n'était plus le feeling du moment". Et c'était aussi le moment où les "singers-songwriters" passèrent de mode, il n'y avait plus de place pour un artiste de l'élégance et de la classe d'Eric Andersen à la fin des seventies.

    Et le temps s'écoula. Eric partit vivre en Europe, se remaria, eut 4 enfant, sortit 2 albums et une B.O.F. confidentiellement. Et je continuais à attendre son prochain album.

    Le vent tourna à la fin des années 80. L'émergence d'artistes comme Tracy Chapman ou Suzanne Vega redonna un public à cette musique folk, aux qualités littéraires, qui était la marque de fabrique d'Eric Andersen. En 1988, Vanguard publia une compilation, "The Best of Eric Andersen", Columbia réédita "Blue River" et, mieux encore, Gold Castle Records fit paraître un nouvel album "Ghosts Upon The Road" qui démontra à quel point le temps avait bonifié les qualités artistiques de notre ami.

    Chez Columbia / Sony, un label spécialisé dans les rééditions, Legacy, avait été créé. Une productrice maison, Amy Herot, entendit parler, au moment de la réédition de "Blue River", du destin de "Stages". Elle se lança alors dans une enquête, à la manière d'une détective, dans les caves de Columbia à partir de février 1987. Sans succès pendant longtemps. Finalement, le 30 octobre 1989, Amy reçut un appel de Mark Wilder, un ingénieur des studios Columbia à New York qui l'informa que 40 boîtes de bandes d'Eric Andersen avaient été retrouvées. Amy comprit qu'il s'agissait des bandes perdues de "Stages" et faxa immédiatement la nouvelle à Eric qui était à Tokyo à ce moment: "Eric - Nous avons trouvé ce que tu cherchais! (Tout!)!!!!".

    Nul ne sait ce qu'il était advenu des boîtes pendant plus de 16 ans. Vraisemblablement n'avaient-elles été envoyées de Nashville que vers le milieu des années 80, au moment ou un destockage avait eu lieu à Nashville. Le plus étonnant est que les bandes aient été retrouvées si longtemps après, tout simplement, parce qu'elles n'avaient jamais été encodées dans le système informatique. Eric était très excité par la nouvelle. C'était comme s'il avait retrouvé un morceau perdu de lui-même.

    Il avait conscience d'avoir écrit quelques un de ses meilleurs titres pour "Stages". Le fait de réentendre enfin son album perdu le conforta dans ce qu'il ressentait. "Woman She Was Gentle" "Moonchild River Song", "It's Been A Long Time" ou "Time Runs Like A Freight Train" font partie de ses classiques, de ces œuvres qu'on ne peut pas dater parce qu'elles ont une qualité qui défie le temps.

    Les 9 titres originels furent remixés et remasterisés par le producteur d'origine, Norbert Putnam. Eric décida d'y ajouter 3 nouveaux titres ainsi que "Dream To Rimbaud", enregistré à l'époque de "Blue River". Et "Stages", devenu "Stages: The Lost Album", fut enfin publié.

    Bien sûr, 18 ans s'étaient écoulés. La carrière d'Eric eut sans doute été autre si ces bandes avaient suivi le destin qui aurait dû être le leur. Mais pour ceux qui aimaient l'artiste, ce disque fut en 1991 un véritable cadeau. Et quand on le voit aujourd'hui, quand on l'entend chanter avec le même bonheur, avec la même simplicité qu'à ses débuts, on se dit que, finalement, le destin, malgré tout, n'a pas été si mauvais pour Eric.

     

  • Les yeux de l'immigrant

    ERIC ANDERSEN à la POMME D'ÈVE - 12 juillet 2007

    Qulques mois après notre dernière visite (précisément le 18 février pour Mark Erelli et Hayes Carll), nous retrouvions le temple de la culture et de la bière sud-africaines, la Pomme d'Ève. Avec une nouveauté, la présence de Calaure qui faisait baisser la moyenne d'âge du public composé majoritairement d'alertes quinquagénaires!

    Cette soirée se présentait sous les meilleurs auspices: la température était douce, le stationnement facile aux portes du Panthéon et les dernières timides larmes du ciel promettaient des lendemains ensoleillés.

    L'essentiel était cependant le programme, qui se résumait à un nom, celui non pas d'une star mais d'une légende du folk: ERIC ANDERSEN.

    Eric fut sans doute l'un des plus mésestimés du mouvement folk des sixties: trop gentil? pas assez politique et contestataire? trop troubadour? trop poète? Peu importent les causes, il n'a pas eu la gloire qu'auraient pu lui valoir ses 5 disques de l'époque chez Vanguard (et notamment les 2 versions de "'Bout Changes & Things").

    Personnellement, je ne l'ai découvert que beaucoup plus tard, vers le milieu des années 70. Auparavant, je ne connaissais vraiment de lui qu'un titre "Close The Door Lightly When You Go", interprété par Ian Matthews et par les Dillards. Mais quel titre!

    Aujourd'hui, Eric a 64 ans et une longue carrière derrière lui (son premier album, "Today is the Highway" date de 1965). Son dernier CD, qui vient de paraître, est un album de blues live, "Blue Rain", enregistré en 2006 en Norvège avec un groupe de ce pays, qui est celui des ses ancêtres.

    Quelques minutes d'attente au coin de la rue Laplace, soundcheck oblige. Le plaisir de retrouver Hervé et son sourire communicatif, le temps de régler quelques formalités (vous pouvez vous aussi adhérer à Acoustic in Paris) et la porte s'ouvrait vers le ventre musical de Paris.

    45b25ce2b993e52c75d653be2b06c2d9.jpgDeux gaillards en noir étaient sur la miniscule scène, en compagnie d'une jeune femme: Stan Noubard Pacha, Eric Andersen et sa jeune épouse, Inge. Ils semblaient là chez eux, Eric surtout qui plaçait à droite et à gauche différents objets: capodastre, médiator, verre d'eau,... La set-list était scotchée sur le vieux piano, invité permanent des lieux. Encore quelques minutes d'attente, Eric repart s'accouder au bar et, enfin (et à l'heure), Stan et Eric remontent sur scène. Hervé présente Stan, guitariste de blues et de talent et annonce celui que l'on ne présente plus. "Ce soir, l'ambiance sera sans doute plus blues que folk".

    C'est pourtant un classique du folk "The other side of this life" (de Fred Neil, le regretté mais immortel auteur de "Everybody's Talking") qui ouvre le programme (comme il ouvre le disque "Blue Rain Live"). Tout de suite, on se rend compte que les guitares seront reines. Les délicats arpèges d'Eric sont joliment enluminés par le jeu plus électrique de Stan qui se fend très vite dun solo. On remarque l'attention que porte Stan au jeu d'Eric. Quant à ce dernier, on devine qu'il laissera à son partenaire d'un soir toute la place que son talent mérite. Même ambiance sur le morceau suivant, "Trouble in Paris", extrait de "Ghosts upon the Road". C'est l'occasion d'évoquer Paris et l'attachement d'Eric à cette ville, et à ce lieu (Eric vient pour la troisième année consécutive). "Belgian Bar" est également extrait de "Ghosts" mais l'ambiance est différente, le jeu de guitare, quoiqu'acoustique, est plus rock. Les artistes sont chauds, les spectateurs aussi!

    C'est le moment de placer un blues: "The Blues Keep Fallin' Like The Rain" qui remonte à "Be True To You". Stan joue sur son terrain, et le démontre. Puis vient le tour de "Runaway", extrait de "Beat Avenue", et d'une reprise "Shame, Shame, Shame" de Jimmy Reed (titre présent sur "Blue Rain").31434a1c0476b031518c995d3c4be386.jpg

    Eric nout redit son plaisir d'être là, nous répète à quel point il se sent "at home" à la Pomme d'Ève, avec un public de vrais passionnés. Nulle flagornerie dans ces propos: le plaisir se lit dans les yeux de ce grand jeune homme, un peu gauche, de 64 ans.

    Eric passe au piano, il faut déplacer quelques objets sur la petite scène, passer le fil du micro. Eric évoque Fred Neil (je n'ai pas bien saisi ses propos) pour introduire le morceau suivant: "Don't It Make You Wanna Sing The Blues". Tout un programme. Stan tente bien de placer quelques notes, mais laisse finalement Eric se débrouiller seul avec son piano. C'est le retour à la guitare et à un autre blues, annoncé comme un "old barnayard song", "Blue Rockin' Chair" extrait de "Beat Avenue" comme le dernier morceau du premier set, "Before Everything Changed".

    Eric annonce le break, chacun peut aller boire un coup, éventuellement acheter quelques CD (il s'émerveille du fait que son public connaît mieux ses disques que lui) et annonce un invité surprise pour la seconde partie. En fait, beaucoup avaient deviné que l'invité serait une invitée.

    ba4e38be89ed51aafcf27195c1e77742.jpgC'est en effet à trois que le programme se poursuit. Inge a rejoint sur scène celui qu'elle a épousé récemment.

    Pour moi, voir et entendre Eric était un rêve. J'avais un autre rêve, qu'il interprète "Close The Door Lightly When You Go", une de mes chansons favorites, toutes époques et tous interprètes confondus (au même titre que "Blue Umbrella" de John Prine ou "Vincent" de Don McLean). J'avais oublié que Mr. Andersen interprétait également "Last Thing On My Mind" de Tom Paxton (il l'avait enregistrée sur le premier album en trio avec Rick Danko et Jonas Fjeld). Et c'est par cette merveilleuse ballade, qui est également au sommet de mon hit-parade personnel, qu'il a attaqué le second set. Inge plaçait ses harmonies sans être envahissante, Stan démontrait joliment qu'il était bien plus qu'un bluesman. Bref, la suite s'annonçait belle.

    Que dire alors quand survinrent les premières notes de "Close The Door...". Cette chanson d'amour perdu remonte à 1966 et à "'Bout Changes & Things" et elle opère toujours sur moi le même effet magique. Tout autre commentaire serait superfétatoire.

    Viennent ensuite deux titres plus "rhytmés": "Foghorn" (de "Memory of the Future") et "One More Shot" (de "Danko / Fjeld / Andersen"). Ce titre, inspiré par l'histoire de Frank & Jesse James, assez violent dans son interprétation, a été écrit par Paul Kennerley, monsieur Emmylou Harris. Il figurait à l'origine sur l'opéra-country "The Legend of Jesse James" de Paul Kennerley, paru en 1980, avec au générique Levon Helm du Band (qui chantait "One More Shot"), Johnny Cash, Emmylou Harris, Charlie Daniels, Rodney Crowell, Rosanne Cash, Albert Lee... En présentant ce morceau, Eric a évoqué 2 truands américains d'aujourd'hui, bien moins sympathiques: George Bush et Dick Chenney.

    Retour au piano pour un "Blue River" d'anthologie. Ce titre, qui a donné son nom à un album en 1972 fut également repris sur "Danko / Fjeld / Andersen"). "Parfois, au piano, je me prends pour Ray Charles", dit Eric avant d'annoncer le morceau suivant (toujours au piano) "Driftin' Away", co-écrit avec son regretté ami (et Norvégien d'origine comme lui) Rick Danko (titre tiré du premier album du trio précité).a2c81156dc80220029d05b5250548866.jpg

    Tonalité différente ensuite et ambiance Velvet Underground avec "You Can't Relive The Past" (de l'album du même nom), co-écrit avec Lou Reed. C'est l'occasion d'un échange avec le public et d'évoquer le passage de Lou à Paris pour jouer sur scène son spectacle "Berlin" (25 personnes présentes sur la scène, donc peu de chance de le voir à La Pomme!). Les guitares sont plus lourdes... Et nos trois artistes, fatigués, quittent la scène... et ne se font pas trop prier pour un rappel, un grand sourire sur le visage.

    C'est d'abord "Woman She Was Gentle", primitivement publié sur "Be True To You" en 1975 mais d'abord enregistré pour "Stages", l'album perdu (il faudra que je vous narre l'histoire tragique de ce disque) en 1972 avec la voix de Joan Baez. La magie est toujours là, et ne faiblit pas pour le dernier titre, le superbe "Moonchild River Song" (de "Be True To You" et "Stages").

    Dernier titre? Pas tout à fait... Les trois se font prier un peu plus longtemps, boivent un verre, et reviennent pour "Thirsty Boots", l'un des classiques indémodables d'Eric Andersen (sur "'Bout Changes & Things" à l'origine), toujours une grand claque plus de 40 ans après.

    C'est l'heure de se quitter. Les spectateurs disent merci à l'Artiste. L'Artiste, modeste toujours, dit merci à "son" public (mais aussi à Hervé, à George, à la technique...), chacun, individuellement a un petit mot en passant. Inge regarde son grand homme avec amour.

    Avez-vous compris que j'avais passé une belle soirée? J'ai vu et entendu une légende qui restait humble, un homme heureux de partager sa passion. J'ai découvert Stan Noubard Pacha, un guitariste que je ne connaissais pas et qui tout au long de la soirée à démontré sa capacité à s'adapter en permanence à quelqu'un avec qui il ne joue pas tous les jours. Il y avait une vraie complicité entre ces deux-là, et le respect était réciproque.

    Et il y avait des sourires partout...

    (Pour plus de photos, vous pouvez cliquer ici.)

  • Prochainement...

    ... sur cet écran...

    ERIC ANDERSEN à la Pomme d'Ève

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    le 12 juillet 2007
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    avec Stan Noubard Pacha et Inge Andersen...
    Stay tuned...