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Naissance d'un marathonien

J'ai sous-titré ce blog "Musique & Marathon" mais je n'ai pas encore parlé de course à pied… Voici donc ma première production en la matière…

Pendant mon enfance, j'aimais courir. Mais je ne courais pas vite, du moins, en étais-je persuadé. Il est vrai que je me mesurais toujours à des camarades, à l'école ou ailleurs, qui avaient 1 ou 2 ans de plus que moi au minimum et, quand on a moins de 14 ans, ce sont des années qui comptent.

À 13 ans, repéré par l'entraîneur du club de football local (ancien capitaine d'une équipe professionnelle à l'occasion d'une finale de coupe de France présidée par Charles de Gaulle) pendant un concours de tirs au but organisé lors de la kermesse annuelle de ce club, je devins un pratiquant (officiel) du ballon rond. Ma carrière, quoiqu' honorable, n'est pas restée dans les annales. J'aimais trop le sport pour le sport et ne me sentais pas à l'aise dans une logique guerrière qui commençait à prédominer dès la fin des années 60.

Mais le football m'a permis de découvrir que je n'étais pas un mauvais coureur et que, même, je courais beaucoup plus vite que les autres une fois que j'étais en mouvement. Lors d'un cross organisé en classe de 3ème, j'ai même découvert que je pouvais semer mes camarades de classe sans effort.

Et c'est ainsi que jusqu'en 1970 j'ai pu occasionnellement, entre deux matches, démontrer quelques qualités de sprinter long, réalisant des temps intéressants notamment sur 200 ou 400m.

Ce fut ensuite la parenthèse pendant de longues années, avec une timide reprise en 1977, pendant mon service national en Allemagne. Bien sûr, de temps en temps, plein de bonnes résolutions, je décidais de reprendre le footing, mais ces résolutions duraient à peine plus que ce que durent les roses, l'espace de quelques matins.

Et puis je devins père de famille en 1982 et, très vite, dès qu'elle approcha de ses 2 ans, je me rendis compte que ma Fillotte avait des dons réels pour la course. En 1993, après le cross de son collège où elle surclassa toutes les filles et même les garçons de son âge, elle entama une carrière d'athlète qui lui permit de se confronter au haut niveau pendant plus de 10 ans.

La première fois que je l'ai vue en compétition, c'était en janvier 1994 à l'occasion du championnat départemental de cross-country. En assistant aux différentes courses du jour, notamment celle des vétérans (hommes et femmes), je me dis que ce qu'ils pouvaient faire, JE pouvais le faire. Je fis donc le pari de prendre une licence et, l'année suivante, de participer à ces championnats et de ne pas finir dernier (très ambitieux, non?).

Le surlendemain, je commençais l'entraînement et, le dimanche suivant, ce fut ma première compétition, à plus de 41 ans: 5 km dans un village meusien. Ce fut un vrai supplice. Je passerai donc pudiquement sur ma performance du jour pour ne retenir qu'une chose: j'avais attrapé un virus qui ne m'a pas quitté depuis.

La seconde course fut, en août, le "Cross de l'Espace", organisé à Narbonne Plage, couru pieds nus dans le sable brûlant et avec 2 passages dans une eau de mer qui paraissait glacée. Un superbe souvenir! Ensuite ce fut l'automne, l'enchaînement (raisonnable) des courses et la première licence. Courses sur routes, puis cross (où j'atteignis mon objectif) et à nouveau la route. En février, deuxième corrida dans le village meusien de mes débuts et une performance améliorée de 4'30" (ce qui donne une idée de la médiocrité de celle de l'année précédente).

Je n'avais pas à l'époque l'ambition, ni même l'envie, de faire des courses longues. 10 km me paraissaient une limite raisonnable. Mais sport et raison ne sont pas toujours compatibles.

C'est ainsi qu'en avril 1995, je me rendis avec mon club à Ay Champagne (commune bien connue des cruciverbistes) où étaient organisés un 10 km et un semi marathon (21,1 km). Je décidai au dernier moment de m'inscrire sur cette dernière distance, ce qui n'était pas raisonnable. Je n'avais en effet pas suivi de préparation spécifique (indispensable si l'on veut dépasser l'allure du footing tranquille). Et puis il faisait plus de 20° à l'ombre (et il n'y avait pas d'ombre) alors que le mardi précédent il neigeait et que le vendredi il faisait -5° au lever du jour. Et comme à mon habitude, je suis parti trop vite. J'avais donc décidé d'abandonner, épuisé et démoralisé, un peu après la mi-course, quand un "ancien" de mon club, me rejoignant alors que je marchais au bord de la route, me secoua en ces termes: "Tu n'as pas le droit d'abandonner avec le maillot du club sur le dos!". Je suis donc allé jusqu'au bout.

Le vainqueur de ce jour-là s'appelait Pascal Fetizon. Gloire de l'athlétisme champardennais et lorrain, plusieurs fois sélectionné en équipe de France (Cross, Semi Marathon et Marathon) mais d'une modestie et d'une gentillesse exemplaires, il préparait la coupe du monde de marathon à laquelle il devait participer à Athènes 15 jours après. Le croisant sur les interminables lignes droites d'Ay, je fus impressionné de le voir, loin devant les autres, avec le sourire (pour lui, ce n'était qu'une course d'entraînement). Sur le chemin du retour, j'appris qu'il souhaitait revenir dans sa Marne natale, après quelques années dans les Vosges et qu'il était à la recherche d'un emploi. Il avait été licencié, lorsqu'il était cadet et junior, dans mon club où il n'avait laissé que de bons souvenirs. Je me dis donc que je pouvais essayer de faire quelque chose pour lui, compte tenu de mon métier de l'époque. C'est ainsi que j'ai pu l'aider à décrocher un CDD à temps partiel, bientôt amélioré par une convention locale lui permettant de dégager du temps pour l'entraînement (il devint ainsi champion de France de marathon, sur le marathon de Paris, en 1996). Il obtint ensuite un CDI à temps complet par le biais d'une convention d'athlète de haut niveau avec la Direction de la Jeunesse et des Sports lui permettant de consacrer la moitié du temps au sport. Par la suite, il est devenu champion de France, d'Europe et du Monde sur la distance de 100 km.

Au cours d'une conversation dans un couloir (nous parlions plus d'athlétisme que de travail!), il me demanda si j'avais l'intention de faire un jour un marathon. Ce à quoi je répondis: "21 km, c'est déjà trop long (surtout moralement) alors, le marathon, c'est hors de question! Ou alors peut-être en 3h30". Je revois encore son regard amusé lorsqu'il me répondit que 3h30, ce n'était pas facile à réaliser (son record était de 2h14'35"). Mais pour moi, le chapitre marathon ne devait jamais s'ouvrir, c'est du moins ce que je croyais ce jour-là.

Dimanche 6 avril 1997, je regarde le marathon de Paris sur France 3 et, quelques minutes après le départ, en voyant les concurrents passer Place de la Bastille, une évidence s'impose à moi: je ferai le marathon de Reims programmé le 12 octobre suivant. Cette ambiance, ces couleurs, cette joie des coureurs lorsqu'ils franchissent la ligne d'arrivée après avoir souffert, j'ai envie de connaître cela aussi. Le jour-même, lors de mon footing dominical, patatras! Chute et entorse de la cheville gauche. Mon marathon commençait de manière idéale…

Mais ma résolution n'en faiblit pas pour autant. Et puis j'avoue que ma motivation s'est trouvée renforcée par le fait que je ne rencontrais que des gens (famille et club) qui tentaient de me dissuader. "Ce n'est pas raisonnable… Tu es trop vieux… Tu es trop grand… Tu n'as pas la morphologie… Ta foulée est trop longue…". J'ai tout entendu mais, parfois (qui a dit souvent?) je suis têtu.

Bref, me voici vers le 14 juillet date fixée pour le début de mon plan d'entraînement. 3 mois à tenir quelles que soient les conditions météo, quelle que soit l'envie. 3 mois avec des séances agréables, d'autres rébarbatives, mais qu'il faut faire. Et puis quelques passages permettant de vérifier la pertinence de la préparation: 2 ou 3 compétitions (10 km et semi marathon) et une sortie footing plus longue. Cette dernière eut lieu 4 semaines avant la course sur un peu plus de 30 km avec 2 copains de club (meilleurs que moi) que je retrouverais au départ de 12 octobre. Ce jour-là, c'était l'état de grâce (il a même fallu m'arrêter pour que je ne fasse pas quelques kilomètres de plus, ce qui eut été stupide). Et à l'issue de la séance, j'ai annoncé mon objectif: entre 3h12' et 3h20'. Là encore, j'ai cru rencontrer des regards sceptiques…

Dimanche 12 octobre 1997, lever très matinal pour un repas d'avant course, à 6h30 du matin. 75 kilomètres en voiture et le stress qui commence à monter, l'estomac à faire des nœuds. Je me mets en tenue, vérifie une dernière fois le serrage des lacets et je me rends en trottinant au pied de la Cathédrale de Reims où sera donné le départ. Pas d'échauffement réel pour une course si longue, compte tenu du niveau de performance espéré, les premiers kilomètres permettront de monter en rythme, tout doucement.

20 minutes avant le départ, la plupart des concurrents sont déjà là, à piétiner, à tenter de ne pas avoir froid. Emmitouflés dans les sacs poubelles, certains ressentent le besoin de satisfaire un dernier besoin naturel (on boit beaucoup avant la course).

10h15, enfin, le pistolet retentit. Les fauves sont lâchés… Le premier kilomètre est en descente légère, il ne faut pas se laisser gagner par l'euphorie, surtout ne pas aller trop vite. C'est facile, très facile. Le chronomètre est consulté chaque kilomètre, suis-je dans le bon tempo? Pas moins de 4'30" à chaque borne. Les choses vont bien mais, au bout de 20 minutes, je me rends compte que Reims n'est pas Paris. Beaucoup moins de monde sur la route (un peu plus de 2000 coureurs) et surtout des zones industrielles désertes à traverser. Et des zones urbaines où il faut demander aux spectateurs de nous encourager pour qu'on ne les confonde pas avec les réverbères. Qui n'a pas couru sur une longue distance ne peut pas comprendre à quel point le soutien du public est important pour nous, les anonymes! À ce propos, je vous parlerai un jour du contre-exemple, la superbe course Sedan – Charleville, et du merveilleux public Ardennais.

Bref, les bornes sont avalées, sans souffrance Je dois penser à me ravitailler à chaque contrôle, boire et manger. Au fond de moi, néanmoins, sourd une angoisse (on pense beaucoup, en courant). Le fameux mur du 30ème ou 35ème kilomètre, vais-je le connaître?

Le passage au semi marathon se fait en 1h30'15". Trop vite? Oui, mais je me sens tellement bien, je dois me retenir. Au 30ème kilomètre, je passe en 2h09'22", tout va toujours très bien. Et puis, insensiblement, les foulées sont plus lourdes, les faux plats plus raides et, surtout, les pensées deviennent négatives. Le temps était doux (14° au départ), d'un coup je trouve qu'il fait trop chaud. Alors je prends une éponge et me la passe sur les jambes. Mais l'eau est glacée et me voici avec des crampes. Je pense à l'abandon, je me sens seul dans cette zone désertique et je me demande qui a inventé ces ronds-points qui cassent l'harmonie rectiligne de la route. Et ces ponts qu'il faut escalader deviennent de vrais murs. Tiens, à propos, le mur du 35ème kilomètre, je sais ce que c'est maintenant!

Mais la raison revient: il n'y en a plus pour si longtemps, après tout, et je suis toujours en avance sur mon objectif. La souffrance est toujours là, réelle, mais la tête se remet dans le bon sens, et les jambes suivent, moins vite, mais chaque foulée rapproche du but. Un passage près de l'arrivée, encore une boucle de 5 kilomètres. La flamme rouge. Le dernier pont à grimper, au-dessus de l'autoroute A4. Et enfin la plongée vers le tapis rouge d'arrivée, avenue Marchandeau. Et là, c'est le bonheur à l'état pur. Je l'ai fait, en 3h11'14". Je pleure et je ris en même temps, la fatigue, l'émotion, tout se mélange. Je l'ai fait. Et déjà, j'ai envie de recommencer.

Et j'ai recommencé, l'année suivante, améliorant mon chrono de près de 5 minutes. Et pourtant j'étais déçu parce que j'avais craqué moralement à 3 km de l'arrivée, sans raison, alors que, physiquement, je pouvais continuer pendant un certain temps.

Le 9 avril prochain, je devais participer au marathon de Paris avec le dossard 18739. Mais je devrai renoncer. Cette fois, c'est le corps qui m'a trahi.

J'espère que ce n'est que partie remise. J'espère que quelques-uns parmi mes nombreux 4 ou 5 lecteurs auront un jour envie de tenter l'aventure. Pour l'ambiance, pour l'effort gratuit, pour la beauté du sport.

Et dites-vous bien qu'un marathon, c'est moins difficile qu'on ne le croit. Ça ne dure que 3 heures, ou 4 heures, ou 5 heures, selon son niveau ou son envie. Il faut simplement s'astreindre à une discipline rigoureuse (mais pas spartiate) pendant 10 à 12 semaines. Et celui qui va au bout gagne le respect, même des meilleurs.

 

Commentaires

  • Ah, quelle belle chronique ! On suit cela comme une retransmission télé, mais de l'intérieur. Et c'est vrai que pour avoir souvent regardé le Marathon de Paris à la télévision, on imagine assez facilement quelle doit être la ferveur du public et le soutien qu'il nous procure. Moi, à chaque fois, ça me donne envie... d'aller me promener dans notre capitale, ce que je ne manque pas de faire régulièrement d'ailleurs.
    M'enfin, pour moi, le marathon... pas question car même si j'avais envie de devenir marathonien, je devrais y renoncer... Il n'en reste pas moins que j'aime encore bien, de temps à autre, trottiner 5 à 6 kilomètres, histoire de me faire plaisir. Mais moi, je nage aussi, tout le monde ne peut pas en dire autant...
    Et je crois me souvenir aussi que La Fraise et Saxoman, chacun en leur temps, semblaient avoir quelques prédispositions. Il faudra un jour que La Fraise nous raconte comment elle est devenue championne de France du cross-country à une seule chaussure !
    Bon, ben, on espère que tu vas fouler le bitume à nouveau, m'enfin... pas de précipitation, réparation de l'organisme d'abord.

  • bravo! ce texte-marathon, déraisonnable que je suis, je l'ai lu bien trop vite...j'y reviendrai...ça fait envie, mais mes dernières tentatives de footing ont été trop douloureuses aux chevilles, aux genoux et au dos...tant pis...je le regarderai à la télé...

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