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In Memoriam - François Béranger (1937-2003)

J'ai depuis longtemps envie de parler de François Béranger. Sa chanson "Tranche de vie" en 1969 fait partie de celles qui m'ont marqué. Comme m'avait marqué, à la même époque "La route" de Michel Corringe (décédé dans l'anonymat en 2001). Pourtant, longtemps, je n'ai possédé qu'un seul album "François Béranger en public" double 33 tours enregistré en 1977 et publié l'année suivante. C'est un des premiers disques que j'ai gravés sur CDR, et qui m'a donné envie de le redécouvrir et donc de faire l'acquisition de ses rares CD disponibles. Un après-midi d'octobre 2003, j'en parlais, expliquant la tendresse que j'éprouvais pour le personnage, devant un chocolat chaud, à  JaPal qui me dit: "Mais je crois qu'il est mort, Béranger". Un choc! Je n'y croyais pas. Je savais qu'il mettait la dernière main à un projet qui lui tenait à cœur, un album de reprises de Félix Leclerc. Mais en lisant"Marianne", chez moi, je dus me rendre à la cruelle évidence: le cancer avait vaincu, une fois de plus.
Parler de Béranger (François) n'est pas aisé. Je vais donc essentiellemnt citer des extraits significatifs de sa biographie (auto) écrite en 1994 et que l'on peut trouver sur le web: http://www.futur-acoustic.fr
"Je suis né, je mourirai. La formule est commode : elle permet de faire la plus courte bio du monde ! … Pour être clair, disons qu'une biographie n'a d'intérêt que si l'œuvre de l'auteur est signifiante. Mon oeuvre est-elle signifiante ? Je n'en sais rien. Ce que je sais, en revanche, c'est que la bio d'un chanteur doit faire 25 lignes maximum pour être lue en diagonale par des présentateurs pressés, ou des journalistes en mal de copie. Ce qu'on lira ici ne répond pas à cet impératif. Je m'en tiendrai donc, pour les gens pressés, à la citation du début : je suis né, je mourirai."
François est né en août 1937, par hasard dans un village du Loiret, près de Montargis, au lendemain du Front Populaire. Son père travaille chez Renault, à Billancourt. Militant syndicaliste. Son enfance est marquée par les luttes sociales (déjà) puis par la guerre: l'occupation, la résistance, la libération.
"Mon père est un autodidacte. On le mit sur le tas à douze ans, après le Certificat. La jeunesse de mon père est un roman de Zola. Sa mère, ouvrière chez Coty à Suresnes, prit ses trois mômes sous son bras et planta là son mari, pour cause d'enfer alcoolique. C'était la Belle Epoque de l'Absinthe. Mon père devint ainsi chef de famille à quinze ans.
De 45 à 51 ou 52, il est élu député d'un département où l'a parachuté une grande formation politique. C'est un orateur de talent : il fait vibrer les foules des réunions électorales et réduit ses contradicteurs au silence. Je suis, debout sur ma chaise, un de ses fidèles supporters. Il abandonne la politique quand les alliances qu'on lui propose lui semblent trop puantes. J'ai une grande admiration pour la manière dont il a mené sa vie; pour ses prises de position; pour ses luttes; pour sa dignité, son dévouement; pour la façon dont il s'est élevé tout seul, sans renier quelques idées fortes auxquelles il croit, jusqu'à renoncer à une carrière. Et une grande tendresse aussi."
L'ascension sociale de son père lui permet, comme il le dit lui-même, de faire quelques humanités. Mais…
"En première, dans un lycée à Paris, me vient l'idée saugrenue que l'enseignement est une chose bien fade, sans intérêt, qu'il faut envoyer tout ça aux orties pour se colleter avec la vraie vie. Mes parents en sont tristes, mais respectent mon choix. Ainsi, en septembre 54, je deviens ouvrier chez Renault. Mon père, après ses députations, y est retourné aussi ! Mais cette fois à la Direction Générale, chargé des relations avec les parlements... (en 36, il y était ouvriertourneur...). C'est insolite et original de travailler en usine et d'avoir fait du grec et du latin. Les prolos et fils de prolos n'y comprennent pas grand-chose : qu'estce que je fous là ? C'est difficile de leur répondre : comment leur expliquer que je veux vivre autre chose, à eux pour qui lycées et universités sont un monde inaccessible. Assez vite je me rends compte qu'on ne se prolétarise pas comme ça, et que la culture, l'enseignement reçus, font une sacrée différence dans l'appréhension du quotidien".
Vient ensuite l'aventure d'une troupe de théâtre-amateur : La Roulotte. Mime, danses folkloriques, marionnettes, chant, théâtre, deviennent l'essentiel de ses loisirs. Il devient ainsi comédien et chanteur et compose ses premières chansons, façon folklo, imitant Félix Leclerc, un des premiers à chanter avec une guitare. Et il se voit bien devenir professionnel... Mais l'Histoire en décide autrement.
En effet, c'est l'armée "Bon pour le service" et, après un passage par Berlin, la guerre, qui ne dit pas son nom, d'Algérie. L'appellation officielle de la guerre d'Algérie est "Opération de Maintien de l'Ordre"... Quelques phrases de François suffisent à décrire l'horreur:
"Notre région est plutôt calme, car pacifiée quelques mois avant par la Légion. Reste une poignée de fellagas imprenables, planqués dans les douars alentour qui, finalement, se rendront, démoralisés par leur solitude, pour être aussitôt torturés. Certains à mort. Après avoir crû à "la Paix des Braves" qu'on leur proposait...

Bien sûr, la torture. Omniprésente. Institutionnalisée. Pratiquée systématiquement à grande échelle. Jusque sur des enfants. C'est l'affaire de "spécialistes", mais tout le monde est au courant. Ceux qui sont contre ne la ramènent pas, par crainte de représailles qui sont nombreuses et variées dans la vie militaire (corvées supplémentaires, affectation dans un poste dangereux, brimades). Beaucoup y sont favorables. Je parle des appelés. Ça fait partie de l'arsenal de la guerre subversive. C'est la guerre, quoi!"
"Parfois, par un besoin bizarre de justification, les services de renseignements font circuler des photos des exactions rebelles. On y voit, par exemple, un vieux couple de paysans pieds-noirs sagement couché dans son lit. Quand on y regarde mieux on voit qu'ils sont entièrement dépecés. Ou telle autre photo avec, en gros plan, des soldats français morts, le sexe coupé dans la bouche. Ça produit son effet sur la troupe.
Mais quand les cris interminables des hommes torturés s'échappent des caves du Quartier Général, les sourires sont jaunes, les cuites plus nombreuses au mess de la troupe. Et quand on apprend, un matin, que le bourreau en chef, boucher de son état, sous-officier d'active, est mort d'une décharge de chevrotines à bout portant dans la tête, la chambrée applaudit... On n'a pas retrouvé la tête."

"J'ai connu des pieds-noirs libéraux - artisans, commerçants, fonctionnaires - qui voulaient que ça change pour retrouver la paix et continuer à vivre dans ce pays qui était leur. Certains sont morts de leurs convictions, beaucoup ont connu les plastiquages et la terreur. Aussi me suis-je souvent échauffé quand, de retour en France, on me demandait de décrire le pied-noir comme le sale colon qui fait suer le burnous, de conformer mon récit au manichéisme de gauche. Si toute ma sympathie allait aux algériens et à leur espoir d'indépendance, je savais aussi l'inextricable déchirement des piedsnoirs. Une Histoire sans générosité finit toujours en conflits sanglants. Mais l'Histoire est ce que les hommes en font. Est-elle jamais généreuse ?
Depuis 35 ans je constate tristement que rien - ou si peu - n'a évolué. Que le monde reste invariablement soumis aux règles du profit, de l'exploitation, du racisme, en un mot à l'imbécillité la plus crasse.
Pour les torturés, la peur, la honte, les morts, les blessés.
Pour la tête pulvérisée du bourreau.
Pour le mensonge généralisé.
Pour l'inutilité absurde de cette guerre.
Pour le racisme rampant ou affiché.
Pour l'imbibition alcoolique des sous-offs anciens d'Indochine.
Pour tant d'années et de jeunesse perdues.
Pour les illusions définitivement envolées.
Pour m'avoir ouvert les yeux sur la réalité du monde.
Pour tout ça, finalement, merci à l'armée!
Cependant je rapporte dans mon sac d'autres images qui ne sont ni de mort, ni de peur, ni d'ennui. La gentillesse des gens. Malgré tout! Les petites filles arabes qui vont puiser l'eau, chargées comme des baudets. Le courage des femmes qui assurent la continuité de la vie dans les douars sans hommes. Et les couleurs de l'Afrique, où je retournerai souvent plus tard pour retrouver, intactes, la chaleur, l'hospitalité et la dignité."
Le retour est difficile. Sa fille Emmanuelle naît quelque jours après. Mais il faut se réadapter.
"La réinsertion va être dure ! C'est d'abord renouer avec les siens. Essayer. S'apercevoir qu'aucun récit ne peut traduire la réalité de ce qu'on a vécu. Qu'on vous écoute avec gentillesse ou commisération, et voilà tout. Que cette page d'histoire écrite par toute une génération de jeunes français n'est pas perçue comme une guerre, mais comme une vague expédition lointaine et exotique. J'ai compris, à cette époque, pourquoi les anciens combattants se réunissent et se racontent : personne ne peut imaginer la réalité d'une guerre sans l'avoir vécue. Alors on enfouit. On occulte. Sans savoir que ce pseudo-oubli va vous empoisonner pour longtemps."
C'est le retour chez Renault, mais là encore, impossible de réadapter. Pendant quelques années, François va œuvrer dans le milieu du cinéma, puis de la TV. Et arrive Mai 68.
"Je n'aime pas les jeunes ou les vieux crétins qui parlent des soixante huitards. D'autant qu'ils ajoutent souvent : attardés... Chez les jeunes, l'emploi de ce terme méprisant trahit une rancoeur : celle de n'avoir pas vécu le truc. D'être né après. Ou d'avoir entendu leurs parents ou leur grand frère radoter comme les anciens combattants, sur des exploits imaginaires. Chez les plus âgés, c'est l'aveu qu'ils sont restés chez eux, par trouille de la rue. Ou qu'ils étaient carrément contre. J'aurais plutôt de la sympathie pour le soixante-huitard, malgré le ridicule de son look : jeans sales, cheveux longs et gras. Il exprime souvent de vieux rêves utopiques qui aident à vivre. Il continue à ne pas croire aux merveilleux modèles de sociétés que le Monde nous offre aujourd'hui. Et il a bien raison. Mais la race est éteinte jusqu'au prochain ras-le-bol. La plupart des vrais soixante-huitards ont rangé leurs rêves dans leur poche et leur mouchoir dessus. C'est bien triste. Certain se sont suicidés ou sont devenus dingues. C'est respectable. Une minorité d'entre eux a embrassé les idéaux (si l'on peut dire) combattus becs et ongles pendant quelques années. Les plus radicaux des maoïstes sont devenus de respectables et efficaces chefs d'entreprise, soucieux de leur réussite, puisque, n'est-ce pas, nous sommes condamnés, dans cette société, à réussir ou à crever. Ils ont trahi leurs idées, et surtout leur jeunesse. Serge July est le plus célèbre d'entre eux."
Pour ceux qui veulent en savoir plus sur l'opinion de Béranger sur July, se reporter à l'intégrale de la bio!
"On m'excusera pour ce moment d'aigreur : il y a un style de trahison qui laisse ma mémoire intacte."
Mais revenons à Mai 68 : il y a la rue, les inconnus à qui parler sans retenue et puis, un soir, au Quartier Latin, il voit une douzaine de jeunes composer une chanson collective, l'écrire à la craie sur un mur et faire chanter les passants. Il ressort du grenier sa vieille guitare de La Roulotte et entreprend d'écrire, à nouveau, des chansons.
Fin 68, avec six amis, il crée une société d'étude et de réalisation en relations publiques. Mais au fil des mois son enthousiasme s'émousse : le client a toujours raison puisqu'il paie, fut-il le plus réac ou le plus idiot.

Avec sa vieille guitare il a enregistré une douzaine de chansons sur un minicassette et les fait entendre à ses associés. Un de ses collègues, à son insu, transmet cette cassette à une directrice artistique chez CBS. On lui propose de signer un contrat de cinq ans pour enregistrer des disques. Tiens! Pourquoi pas? Il signe. Après le succès de "Tranche de vie" paraît le premier album eponyme en 1970.

Il y a bien sûr "Tranche de vie" mais aussi une reprise de "À la Goutte d'Or" de Bruant et puis "Une ville", "Natacha"... L'ambiance oscille entre acoustique et électrique avec même quelques parfums de Brésil... Et déjà ce mélange de tendresse et de révolte...
"CBS (multinationale US) et son patron ne sont pas précisément des révolutionnaires... Mais la logique commerciale veut qu'on tente de récupérer toutes les tendances à la mode. J'en suis une. En avant ! Mon premier 45t voit le jour avec une seule chanson : Tranche de Vie. Pour écouter la chanson entière il faut retourner le disque : la fin est sur la face B. Le pari commercial de CBS est juste : Tranche de Vie, pour l'époque, est une chanson originale dans la forme et dans le fond. Et le chanteur n'en est pas un! Ça amuse les programmateurs : je rentre dans les play-lists. Un certain public, frustré de son explosion soixante-huitarde, suit le mouvement et achète le disque. Dans la dynamique de ce premier succès CBS me fait enregistrer un premier 30cm qui, lui aussi, marche bien. Ainsi devient-on chanteur... La pochette de cet album est un collage de Martine Hussenot qui résume assez bien l'esprit de l'époque : Lénine statufié soutient d'un doigt nonchalant le logo de la multinationale CBS... A moins que le geste veuille dire : je vous l'ai bien mis. Des petites filles fraîches lessivent le socle de la statue, sous le regard d'un clown hilare et inquiétant. Devant elles, un tas de pavés qui n'attendent qu'à être lancés. Quelques fleurs y poussent. Plus loin, un CRS énorme charge un petit homme, tout seul sur le quai désert d'une gare de banlieue. A l'intérieur de la pochette : album de famille, avec Emmanuelle, ma fille, Stéphane, mon fils né en 62, une femme kabyle, les chars russes à Bratislava, des lavandières de La Goutte d'Or, et moi, avec l'éternelle Julie sur l'épaule (c'est le perroquet de la famille)."
Vient un second album ("Ça doit être bien") avec le groupe américain Mormos, installé à Paris. Mais le succès n'est pas là et la séparation avec CBS intervient, à l'amiable. Il rejoint, en 1972, une petite société de production animée par son premier éditeur : l'Escargot-Sibecar, où il restera 10 ans et enregistrera 8 albums.
C'est ensuite le temps de faire de la scène, par nécessité commerciale d'abord, par passion ensuite. Le succès et la complicité avec son public ne se démentiront jamais.
Les débuts sont acoustiques, d'inspiration folk, mais Béranger veut donner à ses chansons, d'inspiration urbaine selon lui, un environnement musical qui leur corresponde : la musique électrique. La rencontre, en 1973, avec Alarcen lui donne l'occasion.
"Jean-Pierre Alarcen est un guitariste génial. J'emploie le terme à dessein. Un vrai musicien, à la technique sure et variée, qui sait rester à l'écoute de la chanson. Alarcen vint, avec sa guitare, son talent, sa gentillesse et son humour. Il vint aussi avec sa sono et son camion..., apports techniques inestimables que nos moyens financiers à l'époque nous interdisaient. Quand j'ai connu Alarcen son intention était d'arrêter le métier. Ses expériences passées, déjà nombreuses, l'avaient dégoûté du showbiz. Son projet était... de faire des livraisons avec son camion (reliquat avec la sono, d'un groupe qui n'avait pas marché). C'était un pur et dur - il l'est resté - résolu à ne pas transiger avec l'idée qu'il avait de la musique. Cette intransigeance explique en partie qu'il n'a pas fait la carrière qu'il aurait pu faire. Cette rencontre , la constitution d'un groupe électrique, furent pour moi un grand bond en avant. On restera cinq ans ensemble."
En 1973, avec Alarcen, commence l'ère électrique . Une centaine de concerts par an, festivals, fêtes politiques, galas de soutien.
"Sur cette période, qui durera jusqu'en 1980, j'ai voulu écrire un récit de souvenirs. Que je n'ai pas écrit ! (Bof... Un livre de plus!) J'y aurais raconté la ferveur, l'émotion, la sympathie, le plaisir, les gags, la violence et les affrontements parfois. Le pied géant qu'on y a pris! J'aurais dit pourquoi - où que j'aille en France, encore aujourd'hui - des inconnus (et des inconnues aussi...) me sourient et me saluent comme si j'étais de la famille. La grande famille que c'était... En vérité, j'ai de beaux souvenirs. Mais pas de nostalgie, ni de mélancolie. En 1978, après un mois de spectacles à l'Elysées-Montmarte, à Paris, et quelques concerts dans les prisons, le groupe Alarcen et moi nous nous séparons. On a fait, ensemble, le tour de la question. Alarcen fonde son groupe. Tout est bien. "

Quatre 30cm avec Alarcen seront publiés: "Le monde bouge" (74), "L'alternative" (75), "En public" (double, 77), "Participe present" (78)

"François Béranger en public", c'est pour moi le premier et toujours la référence. Enfin édité en CD en 2005. Un groupe exceptionnel: Jean-Perre Alarcen, Jean-Loup Besson, Gérard Cohen, Serge Millerat et Francis Lockwood. Et tous ses grands classiques: ceux du premier album, mais aussi les brûlots que sont "Manifeste" ou "Magouille blues". À découvrir encore maintenant...

Après Alarcen, ce sont de nouveaux musiciens dirigés par Bertrand Lajudie, pour trois ans et trois 30cm : "Joue pas avec mes nerfs" (79), "Article sans suite" (80), "Da capo" (81)
En 82, après le dépôt de bilan de l'Escargot- Sibécar (c'est le sort des petites productions indépendantes...) il est sous contrat chez RCA qui produit Da Capo et... le pousse vers la sortie.
"La société est sur le point de se faire avaler par Ariola, qui met comme condition au rachat le dégraissage d'un bon nombre de chanteurs français. (Ah! Le dégraissage! Doux vocable qui va marquer de son esprit toutes les années 80).
Puis c'est la période sabbatique, sept ans de silence...
"De 82 à 89, j'ai vécu... ma vie. Farniente (glandage), voyages, musique, travaux alimentaires pour vivre.
En 89, je rencontre Francis Kertekian, patron de Justine, heureux de me produire un album. Et moi donc! Avec Valmont, on fait un disque ("Dure-Mère") exclusivement avec des machines (sauf un titre), et... 60 concerts dans toute la France".
"Justine, la boîte de prod de Francis Kertekian se fait absorber par Fnac-Music. Ça recommence! Je me retrouve dans une boîte qui n'a vraiment pas envie de moi. Ni moi d'eux. Beaucoup de fric, beaucoup de moyens, mais un dialogue artistique nul, dans une structure de gestionnaires. Dommage..."

"Dure-Mère", un son nouveau et puis une reprise / adaptation de "L'Internationale"... Le lion n'a pas fini de rugir...

Dans sa bio, d'une lecture passionnante, François Béranger nous donne son point de vue sur la chanson en général, sur la dictature des médias, sur ses chansons.
"En octobre 90, j’ai reçu une lettre anonyme que je reproduis ici : «La violence des mots, des images, s’oppose à l’édulcoré, au gentil, au bien léché, au bien sucé, à la variette, au non-dit. A cette provocation répondent souvent indifférence ou hostilité médiatiques. Normal. Ce monde a une réalité, mais défense d’en parler hors normes. Tes chansons ont toujours été des urgences, des coups de boutoir à l’emporte-pièce, qui n’ont pulvérisé ni tes rêves ni ta tendresse. La beauté sera convulsive ou ne sera pas».
Sur mes chansons je ne ferai aucun commentaire. Ce que j'ai à dire y est contenu. Qu'on les écoute attentivement est ce qui peut leur arriver de mieux. Elles sont l'expression de mes convictions ou de mes expériences. Aucune n'est artificielle, concoctée pour plaire. Je ne fabrique pas de produits à la mode. Le suivisme et le mimétisme ne sont pas mon fort. Je crois qu'on est bon quand on est soi-même. Je crois aussi, majeure ou mineure, que la chanson est une forme d'art et que l'art doit être subversif, bousculer les idées reçues, les formes existantes. Je me trouve bien timide dans le domaine de la subversion... Si c'était à refaire j'essaierai d'aller plus loin, de taper plus fort, voire d'être démago, comme certains, pour gagner plus d'audience. (Mais la pratique de la démagogie à outrance serait en contradiction avec ce que je suis : incapable, sans rire de moi-même, de me livrer à la comédie mensongère de certains engagements de pur opportunisme...)
Sur scène, j'ai toujours distancié. Mon comportement a toujours voulu dire : une chanson n'est qu'une chanson, pas un fusil ou une grève; je ne suis pas une star, mais un mec comme vous, ni prophète ni messager; les drames, les conflits, les dénonciations n'empêchent pas le rire, le sourire et l'humour; passons un moment ensemble... Ça n'implique pas l'amateurisme : j'ai toujours essayé de présenter des spectacles bien ficelés musicalement et techniquement. Ces chansons, bref, j'ai essayé de les rendre efficaces. Je n'y suis pas toujours parvenu. Leur taux de réussite, selon mes critères, restera mon secret ..."
Et puis l'artiste conclut (nous sommes en 1994, je le rappelle) par une dissertation sur l'avenir de la chanson.
"Je ne suis ni désespéré, ni cassé, ni battu. Les constats que je fais, les dénonciations que je tente sont l'expression d'un certain esprit de résistance. S'il faut, un jour, chanter clandestinement dans les catacombes, pourchassé par les limiers de la police culturelle (!), j'y serai. Car il y a LA CHANSON! Aussi vieille que les hommes. Le produit-chansonnette-savonnette bien mode, bien torché, bien sexy, bien rythmé est souvent comme un crachat à la face du monde. Il y a cette femme, en Somalie, berçant son enfant squelettique qui va mourir de la connerie des hommes... Et elle lui chante une chanson! Tout finit par des chansons".

Mais la carrière de notre homme ne s'est pas arrêtée là. Il y eut encore "Mamadou" ("Quand t'as pressé le citron, il faut jeter la peau"), hymne anti-rasciste, "Combien ça coûte" en 1997, "En public 98"' en 1999,  le prémonitoire "Profiter du temps" en 2002.

"Je voudrais quoi qu'il arrive / Profiter du temps / Du temps qui me reste à vivre / Tant de temps, si peu de temps...". Tout est dit. À noter la reprise de la chanson de Gabin "Quand on s'promène au bord de l'eau" du film "La belle équipe", retour à l'époque du Front Populaire.

Et ce foutu 14 octobre 2003, avant la sortie de "19 chansons de Félix chantées par Béranger"… Chienne de vie…

C'est le disque hommage, le disque du retour aux sources, message d'adieu et d'amitié, "dédié aux amis de 'La Roulotte', perdus de vue, disparus, dispersés aux quatre vents: à la jeunesse, quoi..."

 

Commentaires

  • Ah, ben merci pour cet hommage à François Béranger ! Voilà bien quelqu'un qui avait, comme on dit, son chemin, et qui l'a arpenté avec constance et une certaine éthique !
    En ce qui concerne ce grand monsieur, quelques remarques / souvenirs :
    - celui de deux 33 tours que je possède : Le Monde Bouge et l'Alternative. Sur le premier, le magnifique "Département 26" où il est question de la solitude et du célibat des paysans (Voilà c'que m'a raconté Pierre-Albert Espédel / 43 ans aux fraises et pas toutes des dents / Un beau soir de l'automne, assis sur un banc / Devant sa maison de pierre dans un village désert). Splendide et véritable "french country rock", avec la complicité des musiciens que tu évoques, notamment Jean-Pierre Alarcen. Ce dernier est également très présent sur L'Alternative où "Paris Lumière" ressemble à une mini-symphonie rock.
    - en 1977, salle Rencontres à Tomblaine. François Béranger était en concert (avec une première partie assurée par l'impayable Zachary "Travailler c'est trop dur" Richard". Effectivement, FB gardait une attitude assez distanciée, il avait beaucoup d'humour et une énergie à revendre. La version de "Paris Lumière" fut, ce soir-là, vraiment explosive, d'autant que j'étais au second rang...

    Quant à sa vision du monde... le constat est sans indulgence, mais pourrait-il en être autrement ? Il avait raison en tous points... malheureusement !
    Salut l'artiste et merci pour tout.

  • Merci pour ces apports. J'aivoulu parler de l'homme et pas des chansons, ou très peu... Elle parlent d'elles-mêmes et je souhaite qu'elles soient (re)découvertes et que chacun en donne son appréciation. De plus, il me faudrait presque une note par titre! Une précision quand même, importante: le groupe dont faisait partie Alarcen était le légendaire Système Crapoutchik dont le dernier disque (posthume) s'appelait "FLOP"!

  • très bel hommage . j'ai souvent vu Beranger en concert , melange de cynisme et de tendresse détonnant.

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