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tim buckley

  • Un disque, un jour - Tim Buckley: Dream Letter, Live In London

    10 juin 1968, l'état de grâce

    Vendredi 26 octobre 1990, à la Clé de Sol, Châlons sur Marne

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    Tim Buckley était né le 14 février 1947. Il est décédé, après une vie marquée par les excès, le 29 juin 1975. Il n'avait que 28 ans. Sa courte existence lui aura néanmoins permis d'enregistrer et publier 9 albums studio et de se faire connaître pour ses talents de songwriter et sa voix, une des plus exceptionnelles de la "rock-music", dans un répertoire allant du folk au jazz.

    Mais pour prolifique qu'il ait été, Tim nous laisse un goût d'inachevé, de promesses non tenues et il faut bien reconnaître que son oeuvre est inégale malgré de très grands moments. Aujourd'hui, Tim est presque oublié et on le connaît surtout (vaguement) comme le père de Jeff qui, lui, n'a sorti qu'un album ("Grace") de son vivant (il est mort tragiquement en 1997 alors qu'il n'avait pas 31 ans). Et Jeff, on s'en souvient surtout pour sa performance dans la reprise du titre de Leonard Cohen, "Hallelujah", au cours de laquelle il tutoie les anges.

    Pouvez-vous imaginer une seule minute que cet instant irréel se prolonge 2 heures durant? Et qui plus est, dans les conditions du direct, c'est à dire en une seule prise? Non, bien sûr. C'est pourtant ce que ce "Dream Letter", enregistré le 10 juin 1968 au Queen Elizabeth Hall de Londres nous propose, et plus, et mieux encore. Ce jour-là, pour des raisons financières, Tim ne se produisait pas avec ses musiciens américains habituels, John Miller et Carter "C.C." Collins, restés au pays et remplacés par Danny Thompson (du groupe folk Pentangle) à la basse et David Friedman au vibraphone. Seul le fidèle Lee Underwood était là avec sa guitare. Et Tim, bien sûr, avec sa 12 cordes acoustique.

    Dès le début, avec "Buzzin' Fly", on sent que quelque chose est en train de se passer. Mais ce morceau folk, plutôt facile d'abord, n'est qu'un aimable apéritif. Avec le deuxième morceau, "Phantasmagoria In Two", on passe à la dimension supérieure, presqu'irréelle. La voix de Tim donne sa pleine puissance tout en jouant sur la corde de l'émotion. On oublie qu'il y a un public, les musiciens sont parfaits dans leur retenue, intervenant à bon escient. Et que dire des morceaux que Tim interprète en solo comme "The Earth Is Broken", où il laisse sa voix aller vers des sommets insoupçonnés? Quant arrive la fin du premier CD avec le medley "Pleasant Street / You Keep Me Hangin' On", on sait que l'on a affaire à un chef d'oeuvre mais l'on est aussi persuadé, hélas, que cela ne peut pas durer à ce niveau de qualité, avec une telle intensité, une telle émotion. Et pourtant...

    Pourtant, la seconde partie du concert sera encore plus forte, encore plus belle. "Love From From Room 109" qui débute le second CD nous offre un moment d'une beauté indescriptible, et Tim continue, jouant de sa voix comme d'un instrument qu'il n'a jamais aussi bien maîtrisé. Et Tim n'a que 21 ans. Sans doute, ce jour-là, a-t-il atteint un sommet pour un moment exceptionnel et qui le restera. Peut-être ne s'en est-il jamais remis? Puis les musiciens s'en vont et Tim reste seul avec sa guitare 12 cordes (il est aussi excellent guitariste) et nous entraîne pour un medley "Wayfaring Stranger / You Got Me Running" qui s'étire sur plus de 13 minutes sans une seconde de baisse d'intensité. Et quand les musiciens reviennent pour un dernier titre, "Once I Was", on a l'impression d'un immense ring où tout le monde est K.O. debout, et Tim, toujours sublime, assène le le coup final.

    Cet album est paru 22 ans après le concert, 15 ans après la disparition du chanteur, rendant enfin justice à l'immense artiste qu'il fut. Si jamais l'expression "état de grâce" a un sens, c'est ici qu'elle le trouve. Comme si ce jour-là une force supérieure avait guidé Tim.

    Pourquoi cet enregistrement est-il resté si longtemps dans les cartons? Pourquoi n'a-t-il pas été publié du vivant de Tim? Je l'ignore mais, ce que je sais, c'est qu'il aura toujours la même actualité, la même force, dans 20 ans, dans 50 ans.

    "Dream Letter - Live In London" fait partie des rares disques que je peux réécouter depuis 18 ans avec la même émotion, que je ne peux pas entendre sans être parcouru de frissons. Je n'ai pas en mémoire d'autres enregistrements "live" atteignant une telle perfection. Et de tous les disques de Tim Buckley, s'il n'en reste qu'un, ce doit être celui-là!

    Pour finir, un titre contemporain de ce concert (mais pas chanté ce soir-là), "Sing A Song For You", paru à l'origine sur "Happy Sad".