KEVIN COYNE: MARJORY RAZOR BLADE
Nancy, lundi 23 février 1974. Il y avait à l'emplacement actuel de la FNAC un grand magasin qui occupait l'ensemble de l'immeuble: "Les Magasins Réunis". Au rez-de-chaussée, se situait le rayon disques, ma foi fort bien achalandé, où je laissais bon an mal an, depuis un peu plus de 3 ans, une bonne partie de mon salaire (eh oui, j'avais la chance d'être étudiant et de gagner ma vie en même temps).
Ce début d'après-midi ensoleillé était placé sous le signe du désœuvrement. On devait être en période de grève (un peu avant peut-être), celle dont le slogan était "nous viendrons à bout d'Haby", en référence au Ministre de l'Éducation Nationale du moment.
Dans un bac, je découvris un objet qui attira mon attention. Un double album à un prix abordable, un artiste dont la trogne et la dégaine me plaisaient. Je ne le connaissais même pas de nom mais je l'imaginais en folk singer anglais, impression confirmée par la liste des instruments parmi lesquels la guitare acoustique, 6 et 12 cordes, la mandoline, la slide guitare.
Et puis il y avait le label, une nouvelle marque lancée par un Anglais un peu fou, Richard Branson: Virgin, jusque-là magasin de disques branché de Londres.
Je fis donc l'acquisition du précieux objet et me ruai vers ma chambre d'étudiant, rue de Metz, dans un appartement "chez Paulette" où je voisinais avec deux autres fous de musique (et qui, eux, pratiquaient de surcroît).
Et là, ce fut l'horreur. Dès les premières notes, ou devrais-je dire les premiers miaulements, je regrettai mon achat. Une chanson a cappella "Marjory Razorblade" torturée par une voix indéfinissable mais tout sauf harmonieuse. J'étais avant tout un amateur de belles mélodies et de belles harmonies vocales. Quelle bêtise n'avais-je pas fait? J'écoutai néanmoins les 4 faces et, même si je notai quelques moments de répit comme "Talking to no-one", "House on the hill" ou "Jackie and Edna", l'impression globale était atroce. Comment pouvait-on écrire et chanter des titres comme "Karate king" ou "Dog Latin"? Enfin, écrire et chanter c'était beaucoup dire!
Je regrettais vraiment ma dépense inconsidérée. Aussi décidai-je de m'infliger une punition afin, à l'avenir, de réfléchir avant de dépenser. J'avais le choix entre 2 Pater Noster et 3 Ave Maria ou une deuxième écoute du disque. Et c'est cette dernière solution que je retins. Et là, tout avait changé. Je n'entendais plus la chanson-titre de la même façon et, déjà, "Talking to no-one" se gravait en moi au point que je le fredonnais dès la première note.
Une fois le dernier morceau de la quatrième face "Chicken wing" terminé, je n'eus qu'une envie: écouter l'œuvre dans son ensemble une troisième fois, ce que je fis immédiatement.
Depuis, c'est une histoire d'amour pour un artiste unique, qui dessinait et peignait également, avec un style très personnel.
Kevin nous a malheureusement quittés en décembre 2004 victime d'une maladie pulmonaire handicapante. Il a laissé une œuvre musicale à nulle autre pareille en 35 ans d'une carrière commencée en 1969 avec son groupe "Siren". Et deux albums nouveaux ont été publiés depuis son départ.
Quant à "Marjory Razorblade", il a été réédité en CD en 1990 et est toujours disponible, agrémenté de 2 titres bonus publiés à l'origine en single. Deux regrets cependant: un morceau ("Eastbourne Ladies") a été raccourci de plus d'une minute et le livret oublie de préciser des détails tels que les noms des musiciens! En lieu et place, un catalogue des parutions de Virgin en CD, dont l'album suivant de Kevin: "Blame It On The Night", qui est mon favori… mais qui n'a jamais été édité en CD!
Commentaires
Ah mais je me souviens très bien de cette époque, quand un beau jour, tu avais rapporté à Verdunce beau disque, étrange, ne ressemblant à rien de ce que nous avions pu écouter jusque-là. J'avoue avoir perdu un peu de vue Kevin Coyne (on ne peut pas avoir des oreilles partout) mais j'imagine assez volontiers qu'il fasse partie de ceux qu'on qualifie de "compagnons d'une vie". Ton texte me donne vraiment envie de me replonger dans sa musique. Merci encore pour lui... et pour nous !
... et j'invite chacun à visiter son site web
http://www.kevincoyne.de
Il est bien fait, bien documenté et on peut y rencontrer sa veuve Helmi, qui est à l'origine de sa renaissance à partir de la fin des années 80.
Et je signale le disque "Silence", paru en 1976 (Musique: Michael Mantler; paroles: Harold Pinter) où Kevin partage les vocaux avec notamment Robert Wyatt.
Messieurs voilà encore un artiste à creuser donc... Le livreur de galettes commence à accuser du retard sur vos chroniques fraternelles... Je pédale derrière le peloton...
Cet artiste décomplexe en tout cas au niveau du chant (technique de ) et il pose une ambiance vraiment agréable. Tiens je vais sortir ma guitare.
@willmanx: si tu sors ta guitare, je pense que tu connais Chris Spedding. Lui aussi figure sur "Silence", cité plus haut...
et bien malheureusement je ne le connais pas non plus... bon je lance une commande de CD liée à tes chroniques, mais je crois que je vais commencer par tes chroniques année par année :
THE BEE GEES "BEE GES 1ST"
CREAM "DISRAELI GEARS"
THE VELVET UNDERGROUND "THE VELVET UNDERGROUND & NICO"
PHIL OCHS I Ain't Marching Anymore (pas trouvé celui en référence)
voilà pour la première saucée et merci pour ces références. Je traque ces album "immanquables" et ces auteurs merveilleusement inconnus et ce blog est une très bonne piste !
Ben forcément qu'il est bien ce blog... Mais fais gaffe, Willmanx, parce que pris dans la fraternelle tenaille, tu vas finir par te ruiner...
@willmanx: c'est un très bon choix, très éclectique. Mais méfie-toi, bientôt je vais traiter une autre année: 1971, peut-être, celle où j'ai commencé à vraiment me ruiner...
@Maître Chronique: chausse tes lunettes, tu vas bientôt avoir beaucoup à lire....
@ Quiet Man : pareil pour toi mon gars ! Ce sera en ligne demain matin vers 9h ! Assez long, j'en conviens...
Kevin Coyne était le Robert Johnson anglais , le Dylan anglais aussi , le Resnick anglais (mais il est déjà anglais lui ) . Sans Kevin Coyne il n'y aurait pas d'Arno ....
nuff'said .