Je reviens sur les deux soirées offertes par les compères de l'Iowa, Greg Brown et Bo Ramsey (courtesy of Hervé, of course).
Aujourd'hui, c'est plus particulièrement Bo Ramsey que j'aimerais évoquer. Ce nom, bien connu des inititiés, l'est beaucoup moins dans le grand public. Nombreux sont ceux qui l'associent à Greg Brown, avec qui il a partagé de belles aventures depuis la fin des années 80.
Pour d'autres, c'est un musicien et un producteur qui a atteint la notoriété (relative, certes) avec Lucinda Williams dont il produisit "Essence" après avoir joué sur "Car Wheels on a Gravel Road".
Il n'est donc pas surprenant que beaucoup des hôtes de la Pomme d'Ève n'aient jamais vraiment entendu Robert Franklin "Bo" Ramsey avant ces soirées magiques des 15 et 16 avril. Pour ma part, quoique possédant plusieurs disque de Bo (j'ai acquis le premier en 2000), ces ceux concerts m'ont permis de réellement le découvrir.
Après l'introduction faite par Hervé, Bo est arrivé, à l'heure, se frayant tant bien que mal un passage au milieu des spectateurs-sardines amassés devant la scène. Un grand type dégingandé, armé d'un sourire bourru, vêtu d'un costume noir à fines rayures et coiffé d'un Stetson de paille. Il s'est emparé de la seule guitare acoustique présente (il y avait aussi deux guitares électriques qu'il utiliserait plus tard pour accompagner Greg), l'a branchée, accordée, triturant quelques pédales et boîtes d'effets, et commença son set.
Je ne vais pas détailler la prestation de Bo. Les deux soirées ont été semblables, quelques titres ont été interprétés deux fois, d'autres une seule. Deux prestations trop courtes compte tenu de leur qualité. Les principales différences: un public que j'ai trouvé meilleur le premier soir (sans doute parce qu'il y avait le mardi, dans le fond de la salle, quelques Américain(e)s enthousiastes et le faisant savoir, alors que le lendemain il y avait à ma proximité quelques anglophones qui semblaient faire la gueule); un pansement à la main gauche de Bo, dû à un accident à l'hôtel; un pull-over différent; et puis une fausse arrivée sur scène de notre homme qui, au moment de toucher la terre promise s'est aperçu qu'il avait oublié sa guitare et a rebroussé chemin, ce qui n'était pas une mince affaire!
Pour l'essentiel, ce fut de la pure magie. Dès les premiers instants, caressant sa guitare pour en sortir des notes invraisemblables, Mr. Ramsey créa une atmosphère à nulle autre pareille. Sa voix murmurait, paresseuse, plus qu'elle ne chantait, les voûtes du caveau, elle-mêmes, semblaient comblées, tellement l'osmose entre l'artiste, son public, et le lieu qui les hébergeait semblait parfaite.
Les cordes vibraient, le bottleneck glissait, les notes se répandaient comme des bulles de musique, le public, subjugué, retenait son souffle de peur de nuire à la féérie de l'instant.
Je ne dresserai pas la liste des titres interpétés, mais certains m'ont plus particulièrement marqué: "I Don't Know", "Burn It Down", "From Buffalo To Jericho" du dernier album "Fragile" (même si le premier - qui m'a véritablement enchanté - figurait déjà sur un enregistrement précédent), "Desert Flower", "Rollin' & Tumblin'", "Long Long Time", "555x2"... Passant d'un blues-rock parfois torride à une musique plus laid-back, Bo Ramsey a réussi 2 prestations parfaites, qui ont fini par lui arracher un sourire timide, mais sincère. Et ce n'était que le début puisque Bo devait revenir pour accompagner Greg Brown tout au long de ses prestations.
Robert Franklin Ramsey est né près du Mississippi, à Burlington, Iowa, en 1951. Très vite, il se passionne pour la musique, le blues et le rock surtout, marqué aussi bien par les maîtres de Chess Records que par les Rolling Stones. Au début des années 70, il fait partie d'un groupe, Mother Blues Band, qu'il quitte pour fonder son propre combo "Bo Ramsey & The Sliders" qui eut un succès certain quoique régional, pendant une douzaine d'années. C'est en 1989, avec l'album de Greg Brown "One Big Town", que la fructueuse collaboration entre les deux hommes débute.
Sous son propre nom, Bo Ramsey a publié 10 albums. Je ne connais pas les 5 premiers, publiés chez 3rd Street Records. Je me contente donc de les citer:
Bo Ramsey – Brand New Love (1980)
Bo Ramsey & The Sliders – Feelin's Gettin' Stonger (1983)
Bo Ramsey & The Sliders – Earthwind (1986)
Bo Ramsey – Either Way (1988)
Bo Ramsey & The Sliders – Rockinitis (1989)
En 1991 est paru "Down To Bastrop" (évoqué par Bo le 16 quand il a joué "555x2" extrait de cet album). Ce disque, que j'ai découvert il y a quelques jours (téléchargement sur http://payplay.fm) a constitué un tournant pour Bo. C'est en effet après l'avoir entendu chez un disquaire en Nouvelle-Zélande (!) que Lucinda Williams a contacté Bo Ramsey pour lui demander de jouer sur son prochain disque. Greg Brown est présent sur cet album qui comporte quelques titres marquants comme "Long Long Time", "I Never Said" ou "555x2". Le son est très blues-rock, souvent plus rock que blues d'ailleurs. Mais il démontre déjà que Bo n'est pas qu'un guitariste et un producteur, c'est aussi un songwriter de talent et un chanteur plus qu'honorable. Les influences citées plus haut sont encore très présentes.
Elle le sont encore dans l'album suivant, enregistré live en 1995 (sauf "Clap Hands" de Tom Waits, enregistré en 1994) sous le titre de "Bo Ramsey and The Backsliders". On trouve 2 reprises de Greg Brown, dans l'édition européenne du moins ("One Wrong Turn" et "Get Themselves Up"), "Shake Your Hips" (interprété par Slim Harpo ou les Rolling Stones) et une première mouture de "I Don't Know", au rythme enlevé. Le texte de cette chanson est toujours très actuel, ce qui explique sans doute pourquoi Bo Ramsey l'a reprise dans "Fragile", paru il y a quelques jours:
"Turn off the TV
Can't take it anymore
There's trash on every channel
And my time is runnin' out
I don't know
I've been playin' guitar
Way too long
I'm still playin' guitar
In 1995
I don't know"
En 1997, paraît "In The Weeds", le premier CD pour moi. Ce disque marque un tournant dans le style. À la fois moins blues et moins rock, tout en restant marqué par ces styles, l'ensemble est plus laid-back, plus paresseux, pas loin de J.J. Cale ou de Tony Joe White ou, pour ce qui est de l'aspect production, de Daniel Lanois. Le jeu de guitare s'est affiné et préfigure le Bo Ramsey entendu à la Pomme d'Ève. Les Backsliders sont là (Steve Hayes, Marty Christensen et Al Schares) ainsi que des invités plus connus: Kelly Joe Phelps et David Zollo (autre célébrité de la scène musicale de l'Iowa) et même Lucinda Williams (non créditée, elle chante sur "Desert Flower" qui lui est dédié). Des titres comme "Sidetrack Lounge" et 2 co-signatures de Greg Brown ("Ain't It Hard" et "Forget You") sont à noter, mais l'ensemble est très cohérent dans sa qualité. Cet album permet aussi à Bo Ramsey de prendre confiance en son talent de lyriciste qui s'est développé lors de son travail avec Miss Williams. Sans doute Bo nourrissait-il un complexe vis-à-vis de son ami Greg Brown, un maître en la matière.
Un silence de 9 ans s'ensuivit. Silence tout relatif puisque, pendant ce temps, Bo Ramsey a beaucoup travaillé pour et avec d'autres. Toujours est-il qu'en 2006, "Stranger Blues" est publié, co-produit par Bo Ramsey et Pieta Brown (qui joue et chante aussi sur le disque). C'est d'ailleurs une affaire de famille puisque le papa de Pieta, Greg, est là, ainsi que les 2 fils de Bo, Alex et Benson.Il y a aussi les amis, dont David Zollo et Steve Hayes. Ce disque est un "labor of love", et cela s'entend, hommage aux maîtres du blues qui ont nourri le jeune Bo. On trouve, pêle-mêle Muddy Waters, Elmore James, Howlin' Wolf, Little Walter, Willie Dixon, Elizabeth Cotten, Jimmy Reed, Sonny Boy Williamson... Et c'est une vraie réussite! Les maîtres peuvent être fiers de l'élève.
Et tout récemment est paru "Fragile". Ce CD, co-produit de nouveau avec Pieta Brown, comporte 11 titres originaux (5 composés par Bo et 6 écrits avec Pieta Brown). C'est véritablement le disque de quelqu'un qui a trouvé sa voie (et sa voix) et sa maturité artistique. L'évolution peut être mesurée à l'écoute de la nouvelle version de "I Don't Know", plus lente et étirée que la précédente. Tout est en nuances, en atmosphère, et chaque écoute de l'album permet d'en découvrir, petit à petit, toutes les subtilités.
Je ne peux pas conclure sans parler de la carrière de Bo Ramsey en dehors de son activité en solo. Comme producteur et/ou musicien, il a travaillé avec Lucinda Williams, Greg et Pieta Brown, Jeffrey Foucault, Iris DeMent, David Zollo, Dave Moore, Ben Weaver...
Étonnant, non?