Tintin – Emmylou (© 2006 – JaPal)
Quelques mots pour relater les émotions ressenties en ce lundi 12 juin à l'occasion du concert parisien donné par Emmylou Harris et Mark Knopfler. Il ne s'agit pas pour moi de faire un compte rendu ou un reportage, d'autres, dont c'est le métier, le feront peut-être, et mieux.
Emmylou, je l'avais découverte avec Gram Parsons, en 1974. Quant à Mark, c'était pour mois une vieille connaissance, depuis les débuts de Dire Straits, bien avant la gloire. Et j'avais failli le voir à Amnéville, il y a deux ou 3 ans, mais un accident de moto m'avait privé de cette rencontre.
Le décor, tout d'abord: Paris sous une chaleur de plomb, le soleil et l'envie de flâner. Le Zénith se dresse au milieu des espaces verts et des bassins de La Villette et de la Porte de Pantin. Et là, en arrivant, je reçois un SMS de ma Fillotte m'annonçant que pour un bête problème de passeport non obtenu à temps (ah, les délais administratifs!), elle allait être privée d'un voyage professionnel au Maroc (départ prévu le lendemain) dont elle se faisait une fête quand il lui a été annoncé. Mauvais début de soirée.
Quelques minutes de file d'attente et munis de nos précieux sésames nous arrivons à la place promise, guidés par une charmante hôtesse dont le pourboire est la seule rémunération (c'est écrit à l'entrée).
Et là, première surprise peu agréable, il fait chaud, très chaud, trop chaud en ce temple de la musique (découvert il y a une vingtaine d'années à l'occasion du récital – très rock 'n' roll – de Dorothée promis à ma Fillotte en guise de cadeau de Noël) et même les sièges en plastique sont chauds. Nous sommes dans une véritable étuve et, en quelques minutes, les crânes dégarnis commencent à suinter et des parfums peu agréables à se propager. Mais la qualité espérée du spectacle aide à supporter ces petits inconvénients.
Les roadies et techniciens s'affairent, règlent, déménagent, branchent, débranchent, rebranchent, et puis, à l'heure, les lumières s'éteignent. Surgit un jeune artiste couvert d'une casquette et armé d'une guitare, croisement entre Donovan et Roy Harper. Son nom: Jon Allen. Il interprète 5 titres, bien applaudis, et se retire poliment après avoir laissé l'adresse de son site web: http://jon-allen.co.uk
Les lumières reviennent, trop longtemps au goût de tous ceux qui se liquéfient petit à petit sous les effets combinés de la chaleur et de la promiscuité.
Et enfin, de nouveau, la pénombre. Quelques silhouettes s'avancent vers le devant de la scène parmi lesquelles celle, encore juvénile, d'Emmylou Harris (59 ans depuis le 2 avril et des cheveux blancs). Celle aussi de Mark Knopfler, sorte de Tintin britannique (57 ans le 12 août prochain). Et tout de suite, on comprend que le show sera pêchu. Un titre extrait de "All the Roadrunning", puis un autre, un "Born To Run" (celui de Paul Kennerley, pas celui de Bruce Springsteen) endiablé et malgré la chaleur tout le monde danse et bouge sur la scène (dans la salle, c'est plus difficile, mais la chaleur de l'interprétation fait oublier celle des lieux). L'ambiance fait penser (l'instrumentation aussi, à l'exception des cuivres) au "We Shall Overcome" de Bruce Springsteen. La fête dans un désordre qui n'est qu'apparent, car chacun est bien en place.
Tout le monde, mais qui? Avant d'interpréter un morceau qu'il dit jouer depuis 25 ans, le Marko présente son groupe: Matt Rollings (piano et accordéon), Stuart Duncan (violon et mandoline), Danny Cummings (batterie, survivant de la fin de Dire Straits), Glenn Worf (guitare basse et contrebasse), Guy Fletcher (présent depuis la fin de Dire Straits, orgue, piano, guitare acoustique, etc.), Richard Bennett (lui aussi multi-instrumentiste; il a fallu, dixit Mark, affréter un avion supplémentaire pour ses instruments: guitares acoustiques et électriques, dobro, bouzouki, etc.), Emmylou Harris (qui lui fait l'honneur de chanter dans son groupe).
Arrive le morceau annoncé, tout d'abord une introduction, dialogue entre les 2 pianos, puis (c'est Mark qui l'a dit en introduction) un duo avec Richard Bennett qui prend place au milieu de la scène, armé d'une guitare électrique. Mark empoigne, lui, le fameux instrument immortalisé par la pochette de "Brothers In Arms", et c'est parti pour un "Romeo and Juliet" d'anthologie où tout le monde prend son plaisir, y compris ceux qui le donnent. Changement de guitare pour Mark en cours de morceau, et le duo-duel annoncé, conversation inspirée entre 2 six-cordes, conclut cette version en un véritable feu d'artifice sonore. À peine le temps de souffler (quelques mutes d'applaudissements quand même) et Mark enchaîne avec son "Song For Sonny Liston", extrait de "Shangri-La", accompagné simplement d'une batterie et d'une contrebasse, les 3 musiciens groupés au milieu de la scène donnant l'impression d'une totale communion. L'ambiance change d'un morceau à l'autre et l'on est tout près de toucher les étoiles.
Les étoiles, on les atteint pour le titre suivant, "All That Matters", toujours extrait de "Shangri-La". Un duo vocal, acoustique, entre Emmylou et Mark, d'une rare beauté. Difficile après cela de réécouter la version originale, avec une seule voix, sans ressentir comme un manque.
Les titres s'enchaînent sans temps mort. La quasi-totalité de "All The Roadrunning" est interprétée (dont le morceau-titre) jusqu'à ce que les artistes, épuisés et déshydratés se retirent. Des ombres s'affairent sur scène. Serait-ce déjà fini? Tout le Zénith est debout, et, pendant de longues minutes, réclame le retour des artistes.
Et les artistes finissent par revenir, mais personne n'en avait douté. Et c'est mieux qu'un rappel, c'est un deuxième mini-show de 4 titres entamé par un "So Far Away" inoubliable et poursuivi par un "Boulder to Birmingham" écrit par Emmylou pour son album "Pieces of the Sky" de 1975 ("Je suis venue ici pour la première fois il y a 30 ans, j'espère revenir dans 30 ans", plaisante la Country Lady, mais nous aussi, on espère, tellement le temps a peu de prise sur sa voix).
Puis tout le monde se retire, définitivement, du moins le croit-on. Mais le Zénith n'abdique pas et réclame encore. Je me dis que la meilleure conclusion serait un duo vocal. Et je suis exaucé. Les 2 chanteurs reviennent, accompagnés par le seul et discret Guy Fletcher pour quelques notes d'orgue. Mark à la guitare électrique, Emmylou à la guitare acoustique et les deux voix s'élèvent, pures et harmonieuses. On dirait un titre des Everly Brothers. Mais non, il s'agit du "Why Worry" de Dire Straits (d'ailleurs repris par Don et Phil sur un de leurs derniers disques). La beauté à l'état pur. Même Guy Fletcher s'est levé de son tabouret pour applaudir.
Les artistes étaient allés au bout d'eux-mêmes et même si l'on n'était pas rassasié, on comprenait qu'ils ne reviendraient plus et qu'il serait presque indécent d'insister et de réclamer encore. On le fit donc, mais timidement.
Ce fut la sortie, le sourire au cœur, le retour vers une fraîcheur très relative. Chacun était enchanté de cette soirée passée avec deux grands artistes et leurs superbes accompagnateurs qui avaient démontré pendant deux heures un amour de la musique qui n'avait d'égal que le respect témoigné à leur public, à moins que ce n'eut été le contraire.