ERIC ANDERSEN à la POMME D'ÈVE - 12 juillet 2007
Qulques mois après notre dernière visite (précisément le 18 février pour Mark Erelli et Hayes Carll), nous retrouvions le temple de la culture et de la bière sud-africaines, la Pomme d'Ève. Avec une nouveauté, la présence de Calaure qui faisait baisser la moyenne d'âge du public composé majoritairement d'alertes quinquagénaires!
Cette soirée se présentait sous les meilleurs auspices: la température était douce, le stationnement facile aux portes du Panthéon et les dernières timides larmes du ciel promettaient des lendemains ensoleillés.
L'essentiel était cependant le programme, qui se résumait à un nom, celui non pas d'une star mais d'une légende du folk: ERIC ANDERSEN.
Eric fut sans doute l'un des plus mésestimés du mouvement folk des sixties: trop gentil? pas assez politique et contestataire? trop troubadour? trop poète? Peu importent les causes, il n'a pas eu la gloire qu'auraient pu lui valoir ses 5 disques de l'époque chez Vanguard (et notamment les 2 versions de "'Bout Changes & Things").
Personnellement, je ne l'ai découvert que beaucoup plus tard, vers le milieu des années 70. Auparavant, je ne connaissais vraiment de lui qu'un titre "Close The Door Lightly When You Go", interprété par Ian Matthews et par les Dillards. Mais quel titre!
Aujourd'hui, Eric a 64 ans et une longue carrière derrière lui (son premier album, "Today is the Highway" date de 1965). Son dernier CD, qui vient de paraître, est un album de blues live, "Blue Rain", enregistré en 2006 en Norvège avec un groupe de ce pays, qui est celui des ses ancêtres.
Quelques minutes d'attente au coin de la rue Laplace, soundcheck oblige. Le plaisir de retrouver Hervé et son sourire communicatif, le temps de régler quelques formalités (vous pouvez vous aussi adhérer à Acoustic in Paris) et la porte s'ouvrait vers le ventre musical de Paris.
Deux gaillards en noir étaient sur la miniscule scène, en compagnie d'une jeune femme: Stan Noubard Pacha, Eric Andersen et sa jeune épouse, Inge. Ils semblaient là chez eux, Eric surtout qui plaçait à droite et à gauche différents objets: capodastre, médiator, verre d'eau,... La set-list était scotchée sur le vieux piano, invité permanent des lieux. Encore quelques minutes d'attente, Eric repart s'accouder au bar et, enfin (et à l'heure), Stan et Eric remontent sur scène. Hervé présente Stan, guitariste de blues et de talent et annonce celui que l'on ne présente plus. "Ce soir, l'ambiance sera sans doute plus blues que folk".
C'est pourtant un classique du folk "The other side of this life" (de Fred Neil, le regretté mais immortel auteur de "Everybody's Talking") qui ouvre le programme (comme il ouvre le disque "Blue Rain Live"). Tout de suite, on se rend compte que les guitares seront reines. Les délicats arpèges d'Eric sont joliment enluminés par le jeu plus électrique de Stan qui se fend très vite dun solo. On remarque l'attention que porte Stan au jeu d'Eric. Quant à ce dernier, on devine qu'il laissera à son partenaire d'un soir toute la place que son talent mérite. Même ambiance sur le morceau suivant, "Trouble in Paris", extrait de "Ghosts upon the Road". C'est l'occasion d'évoquer Paris et l'attachement d'Eric à cette ville, et à ce lieu (Eric vient pour la troisième année consécutive). "Belgian Bar" est également extrait de "Ghosts" mais l'ambiance est différente, le jeu de guitare, quoiqu'acoustique, est plus rock. Les artistes sont chauds, les spectateurs aussi!
C'est le moment de placer un blues: "The Blues Keep Fallin' Like The Rain" qui remonte à "Be True To You". Stan joue sur son terrain, et le démontre. Puis vient le tour de "Runaway", extrait de "Beat Avenue", et d'une reprise "Shame, Shame, Shame" de Jimmy Reed (titre présent sur "Blue Rain").
Eric nout redit son plaisir d'être là, nous répète à quel point il se sent "at home" à la Pomme d'Ève, avec un public de vrais passionnés. Nulle flagornerie dans ces propos: le plaisir se lit dans les yeux de ce grand jeune homme, un peu gauche, de 64 ans.
Eric passe au piano, il faut déplacer quelques objets sur la petite scène, passer le fil du micro. Eric évoque Fred Neil (je n'ai pas bien saisi ses propos) pour introduire le morceau suivant: "Don't It Make You Wanna Sing The Blues". Tout un programme. Stan tente bien de placer quelques notes, mais laisse finalement Eric se débrouiller seul avec son piano. C'est le retour à la guitare et à un autre blues, annoncé comme un "old barnayard song", "Blue Rockin' Chair" extrait de "Beat Avenue" comme le dernier morceau du premier set, "Before Everything Changed".
Eric annonce le break, chacun peut aller boire un coup, éventuellement acheter quelques CD (il s'émerveille du fait que son public connaît mieux ses disques que lui) et annonce un invité surprise pour la seconde partie. En fait, beaucoup avaient deviné que l'invité serait une invitée.
C'est en effet à trois que le programme se poursuit. Inge a rejoint sur scène celui qu'elle a épousé récemment.
Pour moi, voir et entendre Eric était un rêve. J'avais un autre rêve, qu'il interprète "Close The Door Lightly When You Go", une de mes chansons favorites, toutes époques et tous interprètes confondus (au même titre que "Blue Umbrella" de John Prine ou "Vincent" de Don McLean). J'avais oublié que Mr. Andersen interprétait également "Last Thing On My Mind" de Tom Paxton (il l'avait enregistrée sur le premier album en trio avec Rick Danko et Jonas Fjeld). Et c'est par cette merveilleuse ballade, qui est également au sommet de mon hit-parade personnel, qu'il a attaqué le second set. Inge plaçait ses harmonies sans être envahissante, Stan démontrait joliment qu'il était bien plus qu'un bluesman. Bref, la suite s'annonçait belle.
Que dire alors quand survinrent les premières notes de "Close The Door...". Cette chanson d'amour perdu remonte à 1966 et à "'Bout Changes & Things" et elle opère toujours sur moi le même effet magique. Tout autre commentaire serait superfétatoire.
Viennent ensuite deux titres plus "rhytmés": "Foghorn" (de "Memory of the Future") et "One More Shot" (de "Danko / Fjeld / Andersen"). Ce titre, inspiré par l'histoire de Frank & Jesse James, assez violent dans son interprétation, a été écrit par Paul Kennerley, monsieur Emmylou Harris. Il figurait à l'origine sur l'opéra-country "The Legend of Jesse James" de Paul Kennerley, paru en 1980, avec au générique Levon Helm du Band (qui chantait "One More Shot"), Johnny Cash, Emmylou Harris, Charlie Daniels, Rodney Crowell, Rosanne Cash, Albert Lee... En présentant ce morceau, Eric a évoqué 2 truands américains d'aujourd'hui, bien moins sympathiques: George Bush et Dick Chenney.
Retour au piano pour un "Blue River" d'anthologie. Ce titre, qui a donné son nom à un album en 1972 fut également repris sur "Danko / Fjeld / Andersen"). "Parfois, au piano, je me prends pour Ray Charles", dit Eric avant d'annoncer le morceau suivant (toujours au piano) "Driftin' Away", co-écrit avec son regretté ami (et Norvégien d'origine comme lui) Rick Danko (titre tiré du premier album du trio précité).
Tonalité différente ensuite et ambiance Velvet Underground avec "You Can't Relive The Past" (de l'album du même nom), co-écrit avec Lou Reed. C'est l'occasion d'un échange avec le public et d'évoquer le passage de Lou à Paris pour jouer sur scène son spectacle "Berlin" (25 personnes présentes sur la scène, donc peu de chance de le voir à La Pomme!). Les guitares sont plus lourdes... Et nos trois artistes, fatigués, quittent la scène... et ne se font pas trop prier pour un rappel, un grand sourire sur le visage.
C'est d'abord "Woman She Was Gentle", primitivement publié sur "Be True To You" en 1975 mais d'abord enregistré pour "Stages", l'album perdu (il faudra que je vous narre l'histoire tragique de ce disque) en 1972 avec la voix de Joan Baez. La magie est toujours là, et ne faiblit pas pour le dernier titre, le superbe "Moonchild River Song" (de "Be True To You" et "Stages").
Dernier titre? Pas tout à fait... Les trois se font prier un peu plus longtemps, boivent un verre, et reviennent pour "Thirsty Boots", l'un des classiques indémodables d'Eric Andersen (sur "'Bout Changes & Things" à l'origine), toujours une grand claque plus de 40 ans après.
C'est l'heure de se quitter. Les spectateurs disent merci à l'Artiste. L'Artiste, modeste toujours, dit merci à "son" public (mais aussi à Hervé, à George, à la technique...), chacun, individuellement a un petit mot en passant. Inge regarde son grand homme avec amour.
Avez-vous compris que j'avais passé une belle soirée? J'ai vu et entendu une légende qui restait humble, un homme heureux de partager sa passion. J'ai découvert Stan Noubard Pacha, un guitariste que je ne connaissais pas et qui tout au long de la soirée à démontré sa capacité à s'adapter en permanence à quelqu'un avec qui il ne joue pas tous les jours. Il y avait une vraie complicité entre ces deux-là, et le respect était réciproque.
Et il y avait des sourires partout...
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