NINETEEN-SIXTY-SEVEN
Après la découverte de la musique (voir la note "C'est grave, Docteur?), il y eut le temps des hit parades. Époque magique qui permit à mes oreilles de se dévergonder et de découvrir des sons et des couleurs jusque-là insoupçonnés: Beatles, Rolling Stones, Kinks, Who, Animals, Spencer Davis Group, Them, Beach Boys, Bob Dylan, Donovan et tant d'autres. À l'époque, mon seul 33 tours était "Adamo à l'Olympia" (que j'écoute toujours avec beaucoup d'émotion et que j'ai d'ailleurs depuis racheté en CD) et j'appréciais, sans toujours beaucoup de discernement, une certaine variété française. Dans ce domaine je retiendrai essentiellement des artistes comme Hugues Aufray, Eddy Mitchell ou Dick Rivers. Et puis, je ne dédaignais pas d'écouter des gens comme Claude François (n'est-ce pas, mon frère, te souvient-il du "Jouet extraordinaire", de "Même si tu revenais", "J'attendrai", "Le temps des pleurs" et bien d'autres). Ce n'est que plus tard que je découvris que ces artistes aimaient et adaptaient des chanteurs ou groupes américains que, plus tard, j'apprécierais à mon tour. Puis vint l'année 1967. et là, ce fut le choc, l'explosion. Même si, pour moi, elle survint légèrement à retardement. On a souvent parlé du "Magic summer" de cette année-là. "Sgt. Pepper's", les Doors, Jimi Hendrix, "Whiter shade of pale" et beaucoup d'autres. J'ai donc eu envie de faire connaître ce qui, près de 40 ans après, reste pour moi une année de référence, au travers d'une dizaine d'albums. Oui mais voilà, en établissant ma liste, j'avais du mal à descendre au-dessous de la vingtaine! J'ai donc pris le parti de présenter ce dossier en deux parties consacrées chacune à à une rive de l'Atlantique. Tout est venu d'Amérique, mais c'est la Grande Bretagne qui a popularisé les musiques américaines. C'est donc par elle que je commence. 10 albums que j'écoute toujours avec le même plaisir, présentés par ordre alphabétique des artistes.
Je dédie cette rubrique à Phil, qui m'a fait découvrir tant de belles choses et sans qui ma passion pour la musique n'aurait peut-être jamais existé.
THE BEATLES "SGT. PEPPER'S LONELY HEARTS CLUB BAND" À tout seigneur, tout honneur. On ne peut pas ne pas parler de 1967 sans évoquer ce disque qui est un tournant. Il marque la fin de ce qu'on appelait en France l'époque des Yé-Yés et le début (déjà perceptible dans "Revolver" en 1966) d'une approche beaucoup plus ambitieuse de la pop-music. Et puis il y avait la pochette, une vraie révolution. Pourtant, ce n'est pas mon album préféré des "Fab Four". Longtemps, je n'ai aimé que les Beatles d'avant "Sgt. Pepper's". Et en 1967 il publièrent aussi "Penny Lane", "Strawberry Fields Forever". Mais ce disque résiste sacrément à l'épreuve du temps et les mélodies sont là, imparables: "She's leaving home", "When I'm sisty-four", "Day in the life", et les autres… Et les arrangements dont plusieurs années ne duffisent pas à découvrir toutes les richesses. Un monument!
THE BEE GEES "BEE GES 1ST" Je le dis d'entrée: les Bee Gees ne sont pas, n'ont jamais été un groupe disco. Certains qui ne connaissent que "Saturday night fever" en sont pourtant persuadés. C'est le groupe de mes 15 ans, celui qui m'a fait découvrir mon amour des belles mélodies et des harmonies vocales originales. "Massachusetts", publié en septembre 1967 a été pour moi un vrai choc. C'est une histoire d'amour que je n'ai jamais reniée. Il m'en a pourtant fallu, du courage, les années suivantes, parce que, voyez-vous, cela ne se faisait pas d'aimer ce "groupe-guimauve, tout juste bon à emoustiller les adolescentes le samedi soir". Le mépris pour les frères Gibb était total dans l'hexagone, du moins dans la presse branchée (alors qu'aux USA, les Bee Gees étaient catalogué comme un groupe underground!). C'était aussi l'époque où l'on ne pouvait pas aimer les Beatles ET les Rolling Stones. Mais revenons-en à nos 3 frères, Barry, Maurice et Robin, tout juste de retour dans leur Angleterre natale après un exil d'une dizaine d'années en Australie où ils s'étaient taillé un jolie réputation. On les présenta comme des imitateurs des Beatles et ce fut leur drame. Car si l'influence est sensible avant 1967 et encore un peu sur certains titres de cet album, elle disparut très vite, les 2 groupes prenant des chemins musicaux très différents. Et les Bee Gees étaient incomparables dans le domaine de la mélodie, leurs harmonies vocales n'ont jamais eu d'équivalent et même leurs textes étaient beaucoup plus originaux que ceux de tous les groupes à succès de l'époque. Dans "Bee Gees 1st", quelques morceaux d'anthologie: le premier single anglais "New York mining disaster 1941", mais aussi "I can't see nobody", "To love somebody" (repris, entre autres, par Les Animals et Janis Joplin) et "Holiday". Et l'année 1967 vit encore la publication des singles "Massachusetts" et "World".
CREAM "DISRAELI GEARS" Cream (Eric Clapton, Ginger Baker & Jack Bruce) fut catalogué premier super-groupe de la pop-music. C'était surtout le groupe de "God" (surnom d'Eric) après ses passages au sein des Yardbirds puis des Bluesbreakers de John Mayall. Clapton était guitariste et très peu chanteur à l'époque. Ce groupe étaient comme beaucoup d'autres nourri aux sources du blues mais avait une approche différente de l'interprétation. La formule du trio, un son beaucoup plus lourd (la batterie de Ginger). "Fresh Cream", publié en décembre 1966 a été une influence pour beaucoup et a tracé la voie pour, notamment, Jimi Hendrix. En novembre 1967 parut "Disraeli Gears" qui comporte moins de morceaux de bravoure que le précédent, qui marque un virage vers le psychédelisme (cf. la pochette). Et puis il y a "Sunshine of your love", devenu un hymne pour beaucoup (y compris Hendrix), "Tales of brave Ulysses", "Strange Brew"… Un disque qui ne fait pas son âge.
DONOVAN "MELLOW YELLOW" C'est le seul disque de cette rubrique qui ne soit pas l'œuvre d'un groupe. Après des années (1964-1965) où il était surtout vu comme le Dylan anglais (quoi qu'écossais!), Donovan Leitch s'est rapidement démarqué de son aîné, même s'il a eu du mal à se débarasser de son étiquette. Ce fut d'abord "Sunshine Superman" en 1966 puis "Mellow Yellow", le single, grand succès des hit-parades, en France notamment. Le folkeux du début est devenu un artiste plus mûr, marqué lui aussi par le psychédelisme et les influences orientales. Il effectuera d'ailleurs plusieurs séjours en Inde, auprès du Maharishi, avec les Beatles. Ici, outre la chanson-titre, des morceaux comme le jazzy "Sunny South Kensington", le bluesy "Young girl blues" ou le sombre "Hampstead incident" se détachent de l'ensemble. En 1967, Donovan publiera également 2 albums pour enfants: "Wear your love like heaven" et "For little ones" (regroupés également sous le titre "A gift from a flower to a garden"".
THE KINKS "SOMETHING ELSE BY THE KINKS" De "You really got me" en 1964 à "Dandy" ou "Dead end street" en 1966, les Kinks ont enchaîné les hits avec une régularité confondante. Mais ce n'est qu'à partir de "Something else" que l'on s'est rendu compte que le groupe n'était pas qu'une machine à tubes. Cet album marque le début de la période la plus riche des Kinks qui s'achèvera avec "Muswell hillbillies" en 1971. Tout est parfait ici, le disque est plus calme, plus acoustique, que précédemment. Les ballades se substituent avec bonheur aux rocks plus durs. Et Ray Davies s'affirme comme un des grands songwriters de l'époque. Mais le petit frère, Dave, démontre ses qualités dans un "Death of a clown", émouvante mélodie aux couleurs dylanesques. Autres titres marquants: "David Watts", "Waterloo sunset" ou "Two sisters". La pop britannique avait vraiment changé de dimension cette année-là.
PINK FLOYD "THE PIPER AT THE GATES OF DAWN" Que n'a-t-on déjà dit sur cet album? Début et chant du cygne de de Syd Barrett qui sombra très vite dans la folie, la légende a sans doute embelli la perception qu'on en a eu. Il marque le début d'une ère nouvelle, même s'il est beaucoup moins aventureux que son successeur "Saucerful of secrets", et brille par son originalité. Mais rien n'autorise Roger Waters à revendiquer l'exclusif héritage du nom car David Gilmour , s'il n'est pas présent ici, était un proche dy Syd bien avant lui et a fait beaucoup pour le son et la gloire du groupe (D'ailleurs la justice a accordé aux seuls David Gilmour et Nick Mason le droit d'utiliser le nom de Pink Floyd). Cette querelle réglée, il n'en reste pas moins que ce disque est un vrai trésor qui comptient en gestation ce qui deviendra le grand Pink Floyd. Pour s'en convaincre, il faut écouter le morceau initial "Astronomy Domine" et le comparer à la version live parue plus tard dans "Ummagumma". L'histoire était en marche, et on ne le savait pas…
PROCOL HARUM "A WHITER SHADE OF PALE" Tout a déjà été dit sur ce méga hit de 1967. Je me souviens encore du choc de la première diffusion, sur Europe N°1. Mais l'album (paru sans titre à l'origine) recèle d'autres trésors comme "Conquistador", "She wandered through the garden fence" et l'instrumental "Repent Walpurgis", œuvre de l'organiste Matthew Fisher. Les influences classiques sont nettes, mais on sent également naître un style de rock nouveau de la part de ce groupe, directement issu des Paramounts, un des fleurons du blues British du milieu des sixties. Le 45 tours suivant "Homburg" était du même niveau. Mais le groupe a traîné comme un boulet, pendant des années, le succès de ses débuts. Beaucoup sont passés à côté d'un des plus grands groupes de l'histoire.
THE ROLLING STONES "BETWEEN THE BUTTONS" (UK version)
Paru quelque mois avant "Their satanic majesties request"' d'un psychédelisme de mauvais aloi, et son célèbre "She's a rainbow", cet album n'a pas eu la même renommée.Et pourtant, il est sans doute l'un des 5 meilleurs albums des Stones. Pas de tube majeur ici. Les Ricains avaient d'ailleurs substitué, pour le vendre, à 2 titres d'origine les faces A et B du single "Ruby Tuesday" et "Let's spend the night together" (et cette version bâtarde fut jusqu'en 2002 la seule disponible en CD). Une unité de ton et de son, quelques pépites: "Connection", "Yesterday's papers", "Something happened to me yesterday" ou "She smiled sweetly". Mais chaque morceau pourrait être cité. Un vrai album, pas une suite de titres. Le digne successeur du sublime "Aftermath". Ensuite il y aura "Beggars banquet", "Sticky fingers" et "Exile on main street". Aucun autre album ne soutiendra la comparaison avec celui-ci, le plus méconnu de la discographie des Rolling Stones.
TRAFFIC "MR FANTASY" Parmi les tubes qui ont marqué mes années hit-parades, il y eut "Keep on running", "I'm a man" ou "Gimme some lovin'". Le Spencer Davis Group et LA voix de Stevie Winwood. Quand Traffic s'est formé, en 1967 (Steve Winwood, Dave Mason, Jim Capaldi et Chris Wood), le succès est arrivé assez vite avec "Smiling phases", "Hole in my shoe" ou "Paper sun" qui figurent sur la version US de l'album, mais pas dans le couplage anglais. Le morceau-titre, mais aussi "No face, no name, no number" ou "Heaven is in your mind" sont les moments les plus remarquables de cet opus d'un groupe qui se cherche encore et qui ne se trouvera vraiment que plus tard, après le départ du guitariste-chanteur-compositeur Dave Mason.
THE WHO "THE WHO SELL OUT"
Comme leurs confrères, les Who évoluaient rapidement, passant à des œuvres plus ambitieuses qui vont les emmener au légendaire Tommy. Ce disque était envisagé à la fois comme un hommage et une satire de la publicité et de la radio, ce qui explique la présence ici de spots et de jingles entre les morceaux. Si ce projet n'a pas réellement été jusqu'au bout de son ambition, il comporte des thèmes qui seront développés plus tard, dans "Tommy" notamment ("Rael 1 and 2"). Et puis il a toujours des morceaux irrésistibles: "Mary Anne with the shaky hand", "Can't reach you" ou "I can't see for miles".
Voilà donc la sélection arbitraire et subjective que je livre à votre lecture en espérant que tous ces albums, facilement disponibles, trouveront le chemin des oreilles encore vierges de leurs mélodies et de leurs rythmes. Prochain épisode, 1967 aux USA… Tout un programme, et encore une sélection difficile…