"Steve Goodman" premier album éponyme (1971)
J'ai cité, dans une précédente note, Steve Goodman et l'émouvante chanson dédiée à son pére "My Old Man". Cela m'a donné envie de rendre justice à ce personnage attachant au travers de quelques lignes et surtout de pousser un cri de colère (ARRGH!!!) vis à vis d'un des scandales mineurs de la chanson française.
Steve Goodman était un guitariste et chanteur très doué mais aussi un auteur-compositeur de talent. Il est mort à 36 ans après avoir lutté 15 ans contre une ennemie implacable: la leucémie. Mais cette conscience d'être en rémission, loin de l'abbattre, lui a donné une joie de vivre communicative (très perceptible dans ses enregistrements "live") et un humour décapant, une capacité d'auto-dérision qui ne se sont jamais démentis jusqu'à la fin de sa trop courte existence.
Steve Goodman formait aussi avec John Prine une paire d'amis, sortes de Montaigne et La Boétie du folk (même si ce terme est trop restrictif) américain. John Prine écrivit les notes de pochette du premier album de Steve et Steve fit connaître John en incitant Kris Kristofferson à l'accompagner pour assister à une de ses prestations scéniques, dans un petit club de Chicago, l'aidant ainsi à démarrer dans le métier.
Cette rubrique est consacrée au premier – et plus grand en qualité de songwriter – succès de Steve "City Of New Orleans" qualifié par John Prine de "best train song I ever heard". Cette chanson fut popularisée par Arlo Guthrie et reprise par de nombreux artistes américains au premier rang desquels Johnny Cash, Willie Nelson ou le groupe bluegrass Seldom Scene.
Mais laissons Arlo Guthrie nous conter sa première rencontre avec Steve:
«One time, a few years ago around 1970, I was up in Chicago playing in a bar. After the show was over, the owner of the place, who was a friend of mine, came up and said, "Hey, Arlo, a friend of mine wants to sing you a song". I said, "Oh, come on, man, I don't want to hear no songs. I hate songs. I don't even like my own songs. Why should I listen to other people's songs? I mean, everybody think they wrote the cosmic universal anthem song-of-the-month-club song". I was going on and on and on…
Finally, this little guy comes around the corner and he's smiling at me. He says, "Arlo, I just want to sing you one song". So I said, "Tell you that. Buy me a beer. I'll sit here and drink it. As long as it lasts, you can do whatever you want". He said, "That sounds like a good deal". I said, "It does?". "City of New Orleans" is the song he sang me. The guy's name was Steve Goodman. He wrote a lot of great songs.»
Arlo, auréolé de sa double célébrité (il était le fils de Woody Guthrie et la star d'un film intitulé "Alice's Restaurant" inspiré de sa chanson-saga du même titre) popularisa "City of New Orleans" et fit par là-même reconnaître le talent de Steve. L'histoire aurait pu en rester là si une adaptation française n'avait vu le jour pour devenir un des plus grands succès commerciaux de Joe Dassin sous le titre "Salut les amoureux" (Pendant des années, j'ai cru que le titre était "On s'est aimé comme on se quitte").
Comment un chanteur américain et de surcroît parfaitement bilingue, qui se prétendait défenseur de la chanson folk américaine, a-t-il pu accepter de dénaturer à ce point ce chef d'œuvre mineur? Comment une "train song" (c'est un genre à part entière dans le folk ricain – évidemment intransposable par ici) a-t-elle pu devenir avec l'aval de son interprète une mièvre chanson de rupture? Certes, la mélodie est là, imparablement magique, mais…
Et puis, j'ai été profondément choqué de constater que sur les nombreuses rééditions posthumes des œuvres de Joe (que je respecte malgré tout, car comme tout un chacun depuis le milieu des années 60, je ne peux nier que j'ai plus d'une fois fredonné ses airs à la mode - un voyage scolaire avec comme hymne "Tagada, tagada voilà les Daltons", ça passe plus vite) "Salut les amoureux" est crédité au seul Claude Lemesle. Et j'ai eu envie de fracasser le téléviseur lorsque j'ai vu le même se pavaner en parlant de "son" chef d'œuvre lors d'une émission-hommage de Drucault ou Foucker.
Par ces quelques lignes, j'ai simplement voulu rendre à Goodman ce qui appartenait à Steve. Tous ses disques sont en vente chez Red Pajamas Records, label qu'il a fondé sur la fin de son existence et qui est une filiale de Oh Boy Records (http://www.ohboy.com tout est disponible par http://www.amazon.com) , autre label créé par… John Prine quelque temps auparavant pour conquérir son indépendance artistique (et il en fait bon usage, le bougre!).
«…And we all loved Steve. He was an incredibly talented, energetic, beautiful human being and I was one of the lucky ones to have him for a friend… Miss you, pal.» (John Prine)