Bien sûr, en arrivant, on a eu un peu peur. Après tout, le Millesium, ce n'est pas une salle de spectacle, ce n'est jamais qu' une halle de parc des expositions. Et puis toutes ces chaises bleues en plastique (les pieds étaient en acier, tout de même) alignées avec leur numéro en papier ne laissaient pas augurer d'une confortable soirée. Nous prîmes places, guidés par de charmantes ouvreuses. Au troisième rang, presqu'au milieu, ce devrait être supportable! Petit à petit, la salle se remplissait. Les guitares attendaient, elles aussi, sagement, sur leurs supports. Et il y avait des appareils branchés, avec des lumières vertes ou rouges, qui clignotaient. Tout était prêt. Et les musiciens sont arrivés: de gauche à droite il y avait Michel Cœuriot (Michel Jonasz, Maxime Le Forestier, William Sheller), cerné de ses claviers; Thomas Cœuriot (le fis de son père) aux guitares acoustiques et électriques, à la mandoline (et j'ai même cru reconnaître une mandola) et aux harmonies; Laurent Faucheux (Maxime Le Forestier, Sol en Si) à la batterie; Guy Delacroix (Jean-Michel Caradec, Jacques Higelin, Michel Jonasz, Maxime Le Forestier, Alan Stivell et – dixit Maître Chronique – Magma) à la basse électrique, à la contrebasse et aux harmonies; Michel-Yves Kochmann (Renaud, Sol en Si) aux guitares acoustiques et électriques (il avait même une superbe resonator steel-guitar) et aux harmonies. Un roulement de batterie, quelques stridences des guitares, et c'était parti. Et là, divine surprise, l'acoustique était parfaite, la balance bien réglée, chaque instrument bien en place et distinctement audible. Et j'ai pensé à mon frère: le batteur est bien un batteur de rock et je ne sais pas s'il a pris des leçons de caisse claire, mais il était juste où il fallait, les écouteurs sur les oreilles, comme il fallait, sans jamais être envahissant. Et le chanteur est arrivé, dégingandé, frisé-hirsute, de noir et blanc vêtu. Et il était content, et les musiciens étaient contents (le Champagne?), c'est lui qui le disait, en tout cas. Et il a chanté ses chansons, pas toutes, il y en a trop maintenant. Certaines ont été attendues en vain. Mais on a eu de grands moments musicaux. "C'est déjà ça", avec une performance de Kochmann à l'Oud. Et des "petites" chansons qu'il chantait seul dans un coin près de Cœuriot père et de son piano. Et la plus applaudie (du moins avant le moment des rappels), "Et si en plus y'a personne" une nouvelle pas encore très connue et dont je découvrais les paroles: "Arour hachem, Inch Allah, Are Krishna, Alléluia / Abderhamane, Martin, David / Et si le ciel était vide / Toutes ces balles traçantes / Toutes ces armes de poing / Toutes ces femmes ignorantes / Ces enfants orphelins / Si ces vies qui chavirent / Ces yeux mouillés / Ce n'était que le plaisir / De zigouiller / Et l'angélus, ding, qui résonne / Et si en plus, ding, y'a personne…". Et Bob Dylan chantait... "With God on our side" il y a plus de 40 ans. Rien n'a changé, ou plutôt si, en pire!!! Le public était sage. Il tapait des mains un peu à contre temps, il saluait parfois à retardement les titres qu'il reconnaissait. Il y a bien eu 2 adolescentes de 40 ans qui ont commencé à se trémousser entre la scène et le premier rang avant de se rasseoir, déçues du peu d'émulation qu'elles sucitaient.
Et il a raconté ses histoires. Celle du type de la mairie de Paris (époque non précisée) qui prèlevait chaque jour 800€ des finances publiques pour boire le thé. Ou son projet d'écrire sa biographie, bien larmoyante pour faire un maximum d'argent. Elle démarrerait comme "Sans famille", se poursuivrait comme chez Zola, pour finir avec un petit nuage qui ressemblerait à Laurent Voulzy. Alain, il a 10 ans depuis longtemps. Et toujours son âme d'enfant. Alors, à un moment, pour mettre un peu le bazar, il a dit que d'habitude, à cet instant du spectacle, les gens du fond venaient se mettre debout et bouger devant la scène. Et puis, disait-il, ça gênait les gens des premiers rangs, qui râlaient, qui se levaient aussi, qui se bagarraient même parfois, et eux, là-haut, sur la scène, ça les amusait! Le mouvement de foule se fit donc, timide d'abord, plus franc ensuite. Et je ne voyais plus si bien. Et la jeune fille devant moi pesait au moins 90kg et menaçait de s'effondrer sur mes genoux. Quant à son déodorant… mais passons… Alors, je me suis levé: après tout, je mesure 1m85 et il faut bien que cela me serve à quelque chose de temps en temps. Et tant pis pour ceux du quatrième rang. Le spectacle se termina de manière joyeuse, les sourires étaient partout, un vrai petit moment de bonheur. Tout le monde était debout, tapait dans les mains, et les six compères, sur leur estrade et malgré la fatigue, avaient du mal à nous quitter, je l'aurais juré. D'ailleurs, ils ont eu du mal à nous quitter, personne dans la salle n'était rassasié... Oui, vraiment, c'était bien, Alain Souchon.
Dans un bac, je découvris un objet qui attira mon attention. Un double album à un prix abordable, un artiste dont la trogne et la dégaine me plaisaient. Je ne le connaissais même pas de nom mais je l'imaginais en folk singer anglais, impression confirmée par la liste des instruments parmi lesquels la guitare acoustique, 6 et 12 cordes, la mandoline, la slide guitare.
L'histoire commença en 1978. Rock & Folk, dans sa rubrique "disques import", publia un article qui attira mon attention. Un certain Sammy Walker venait faire quelques concerts en France, notamment pour un festival-hommage à Woody Guthrie. Et pour l'occasion, WEA (qui à l'époque promouvait encore la musique) avait importé les 2 albums publiés en 1976 et 1977 par le jeune Sammy ("Sammy Walker" et "Blue Ridge Mountain Skyline") et objets de la chronique rocketfolkienne. Une voix à la Dylan, des influences à charcher chez Woody Guthrie, Hank Williams, Merle Haggard ou Phil Ochs. Bref, il me fallait ces disques. Mais voilà, les temps étaient durs (12 mois d'armée et un mariage ne m'avaient pas enrichi!) et les disquaires locaux peu compétents. Je ne connaitrais donc jamais Sammy Walker.
Ce disque n'a malheuresement pas obtenu le succès auquel il pouvait légitimement prétendre. Sa qualité a été sans doute éclipsée par le destin tragique du producteur dont on nota que, à l'époque où sa santé mentale se dégradait rapidement, il était encore capable de détecter le talent. Et quel talent! Et la chanson-titre, en raison de son histoire, a sans doute fait de l'ombre aux autres.
Quelques lignes pour ceux qui aiment la musique gratuite. Une petite visite s'impose sur le site du grand et pas assez reconnu Elliott Murphy, le plus Français des songwriters américains.