NINETEEN-SIXTY-SEVEN PART 2
L'anné 1967 fut une des plus riches et des plus novatrices de ce qu'on appelait la pop-music. À partir de là, plus rien ne fut plus jamais pareil. Les barrières tombaient petit à petit, les étiquettes devenaient étriquées. L'imagination était au pouvoir pour quelques années avant l'inévitable reflux qui commença au milieu des seventies.
L'Angleterre fut en cette année-là, Beatles obligent, à la tête du mouvement. Mais les States suivirent rapidement et produisirent quelques belles œuvres. Et puis il y eut l'extra-terrestre à la carrière météoritique, Jimi Hendrix. J'aurais aimé aussi parler du Dylan de 1967 mais ce fut pour lui une année sans album consacrée à la convalescence après un terrible accident de moto qui faillit lui coûter la vie, et à des répétitions dans les caves de Big Pink avec The Band (les enregistrements firent la joie des bootleggers et des collectionneurs avant d'être publiés officiellement en 1975). Mais le Bob Dylan d'avant était mort et beaucoup attendirent en vain son retour pendant des années; en ce sens aussi, 1967 fut une année-charnière.
Voici donc ma sélection des 10 albums de 1967 aux Etats-Unis. J'aurais pu y ajouter Eric Andersen, Arlo Guthrie, Kaleidoscope, Janis Joplin avec Big Brother & the Holding Company et quelques autres. Mais il fallait bien choisir…
THE BEACH BOYS "SMILEY SMILE"
Après quelques années de succès grâce à des mélodies faciles chantant le soleil, le surf, les filles et les voitures, les Beach Boys et en particulier l'aîné des frères Wilson, Brian étaient enfin considérés comme autre chose qu'un groupe pour teenagers. Le triomphe, fin 66, de "Good vibrations" n'y était pas pour peu et Brian Wilson commençait à être perçu comme un véritable génie du son, dans la lignée de son maître, Phil Spector. Il s'attela donc à un projet ambitieux, "Smile" qui, reporté de mois en mois, finit par ne pas voir le jour. Brian aurait voulu faire son "Sgt. Pepper", en fan des Beatles qu'il était, mais il jugea paut-être (à tort) la barre placée trop haut. En lieu et place, on eut droit à "Smiley smile", publié en septembre. Ce fut une grande déception pour les fans. La montagne espérée avait accouché d'une souris, ou plutôt d'un disque bizarre, expérimental, un collage plus qu'un album. La santé mentale de Brian Wilson n'y résista pas. Néanmoins, "Smiley smile" mérite qu'on s'y arrête parce qu'il ne ressemble à aucun autre disque de l'époque. Et puis il y a "Good vibrations" et "Heroes & villains", deux authentiques chefs d'œuvres! Et "Vegetables" avec la présence de Mr. McCartney.
TIM BUCKLEY "GOODBYE & HELLO"
Jeff Buckley, décédé à un peu plus de 30 ans, n'a produit qu'un seul album studio, l'excellent "Grace". Son père Tim, décédé à un peu plus de 28 ans en a publié 9. Celui-ci est son deuxième opus, paru alors qu'il n'avait que 20 ans. Et pourtant, l'histoire a injustement rendu le fils plus grand que le père. Le premier album de Tim, disque éponyme, avait une couleur folk-rock. Dans "Goodbye & hello", le folk se teinte de psychédélisme: "Sgt. Peppers" était passé par-là. Plusieurs morceaux sont co-composés avec le poète Larry Beckett. Des titres courts à la construction classique comme "Morning glory" ou "Once I was", mais aussi des compositions plus ambitieuses comme "Goodbye and hello". Un grand artiste était en train de se révéler. Il allait par la suite montrer d'autres facettes de son talent, abordant d'autres rivages musicaux, et une voix comme il y en eut peu dans l'histoire de la rock-music.
BUFFALO SPRINGFIELD "BUFFALO SPRINGFIELD AGAIN"
Encore un disque dont on se rendit compte après coup qu'il avait marqué l'histoire. Deuxième album du groupe de Steve Stills, Neil Young et Richie Furay, "Again" constitue un important pas en avant par rapport à son prédécesseur. Et, surtout, il révèle à la face du monde (qui ne s'en rendra vraiment compte qu'après "Déjà vu" de Crosby, Stills, Bash & Young) l'immense –et original – talent du Canadien Neil Young. "Mr. Soul", "Expecting to fly", "Broken arrow" sont trois perles au mileu des compositions de Steve Stills comme "Rock & roll woman", "Everydays" ou "Bluebird" qui tiennent également fort bien la route. Richie Furay (chanteur principal du groupe à sa constitution) a bien du mal à se faire entendre malgré un "Child's claim to fame" ou un "Sad memory" de fort bon aloi. Et pourtant, c'est lui qui tenta de sauver le groupe. Il échoua, alors il fonda Poco. Qui peut l'en blâmer? Pas moi, en tout cas…
THE BYRDS "YOUNGER THAN YESTERDAY"
Gene Clark n'était plus là depuis l'album précédent "5th dimension" et le groupe était orphelin de son meilleur auteur-compositeur (Gene Clark n'a jamais eu la reconnaissance qu'il méritait de ce point de vue). "Younger than yesterday", quatrième album des Byrds marque un virage pour un groupe en pleine évolution. Bien sûr, Jim/Roger McGuinn est toujours là avec sa célèbre Rickenbaker 12 cordes. Bien sûr, il y a un tube dans la veine des précédents "So you want to be a rock 'n' roll star". Bien sûr, il y a la traditionnelle reprise de Dylan "My back pages", dans la veine de "Mr. Tambourine man". Et pourtant, ce disque ne ressemble plus vraiment aux précédents. D'abord parce que David Crosby, avec ses compostions introspectives et personnelles "Mind gardens" ou "Everybdy's been burned" se place un peu en marge du groupe. Et aussi parce que Chris Hillman, bassiste et élément le plus jeune du quatuor monte en puissance en qualité de compositeur. Il signe ici en effet 4 titres (sur 11) et co-signe "So you want to be a rock 'n' roll star". Il est curieux de constater à quel point celui qui était un mandoliniste dans des groupes de bluegrass est devenu un bassiste capable de ciseler des pop-songs aux accents rocks qui n'auraient pas déparé un disque des Beatles (circa 1964-1965): "Have you seen her face", "Time between" ou "The girl with no name" par exemple. Et c'est sans doute lui qui est le vrai ciment d'un groupe déchiré par la rivalité entre McGuinn et Crosby. Un disque dont la fraîcheur ravit toujours aujourd'hui.
THE DOORS "THE DOORS"
Ce fut l'un des deux chocs de l'année de l'autre côté de l'Atlantique. Le second fut… mais vous l'avez deviné! Il était beau, il avait tous les talents. Jim Morrison était riche et révolté contre l'establishment symbolisé par son officier de père. Dès les premières notes de "Break on through", on sait qu'on a affaire à quelque chose de différent. 9 compositions du groupe (les textes sont de Jim Morrison) et deux reprises: le blues de Willie Dixon et Howlin' Wolf "Back door man" et "Alabama song (Whisky bar)" extrait de "L'opéra de quat' sous" de Bertolt Brecht et Kurt Weill. J'aurais pu choisr "Strange days", deuxième album du groupe paru la même année et son "When the music's over". Oui mais dans "The Doors", il y a "The end" et ses 11'35" de colère et, pour moi, surtout "Light my fire" qui reste un de mes titres favoris de l'histoire du rock (même si j'ai peut-être connu d'abord la version acoustique de José Feliciano). Ce fut un choc. Les Doors entraient dans une légende que la mort prématurée de leur charismatique leader, en 1971, allaient encore aviver…
THE JIMI HENDRIX EXPERIENCE "ARE YOU EXPERIENCED"
J'ai parlé de choc mais, là, ce fut un séisme. Je règle tout d'abord une question: pourquoi " Are you experienced" plutôt que "Axis: bold as love" paru également en 1967? Parce que c'est mon choix. Parce que ce fut le premier. Parce que je possède une réédition qui inclut les 3 singles qui on précédé l'album: "Hey Joe", "Purple Haze" et "The wind cries Mary" qui ne figurent pas dans l'édition originelle (anglaise) de l'album. Eh oui, ce sont les Anglais (et plus précisément Chas Chandler des Animals) qui ont révélé celui qui n'était jusque-là qu'un musicien de studio à la renommée grandissante dans le milieu du Rhythm & Blues. Cela dit, ai-je le droit, moi misérable terrien, de parler de Jimi Hendrix, de dire la folie qui a entouré ses premières apparitions européennes en Angleterre (et même à l'Olympia en première partie de Jauni à l'idée). C'est le génie à l'état pur. Personne n'a approché, personne n'approchera jamais LE Jimi de 1967 et 1968. C'est du blues en fusion. La formule du trio déjà rôdée par Cream prend ici une autre dimension. Il est toujours urgent de se ruer sur les 2 albums précités et sur "Electric ladyland". "Red house", "Fire", "Third stone from the sun", "Foxy lady"… C'est la musique d'un extra-terrestre!!! Et il conquiert encore de nouveaux fans dans les jeunes générations.
PHIL OCHS "PLEASURES OF THE HARBOR"
Dylan n'est pas là. Mais il y a Phil Ochs, autre figure phare du protest song, journaliste et chanteur. Plus politique mais moins médiatisé que son confrère, Phil Ochs a toujours souffert de ne pas bénéficier de la même reconnaissance, de demeurer dans l'ombre de son rival. Ce n'est qu'après son décès tragique (suicide) en 1976 que la critique le reconnut vraiment comme l'un des auteurs les plus sincères et les plus humains de sa génération, que son approche soit politique ou tout simplement poétique. Après 2 albums studio "All the news that's fit to sing" et "I ain't marching anymore", Phil Ochs produisit un album live "Phil Ochs in concert", toujours accompagné de sa seule guitare. Et puis le vent de 1967 (toujours "Sgt. Pepper") mais aussi le virage électrique de Dylan l'incitèrent à explorer d'autres directions. C'est ainsi que naquit "Pleasures of the harbor", sans doute son œuvre la plus accomplie. Disque ambitieux mais totale réussite ou le pianiste classique Lincoln Mayorga assure un parfait contre-point à la guitare et à la voix de Phil. Les arrangements sont de Ian Freebairn-Smith, également musicien d'origine classique, qui donne un côté pop-baroque à la production où clavecin et flûte côtoient en harmonie batterie, cuivres et cordes. Les morceaux sont longs, souvent plus de 8 minutes, la critique sociale est moins implicite, mais bien présente. Ce n'est pas de la musique "easy listening". C'est simplement un grand, un très grand disque, d'une richesse qui ne se dévoile qu'à ceux qui la méritent.
THE TURTLES "HAPPY TOGETHER"
Il y eut les Crickets (de Buddy Holly), les Beatles, les Byrds. La mode était aux noms d'animaux (éventuellement déformés), aussi les Crossfires décidèrent un jour de s'appeler The Tyrtles avant de rétablir l'orthographe correcte. Et comme les Byrds, ils commencèrent par une reprise folk-rock de Dylan "It ain't me, babe". "Happy together" est leur troisième et meilleur album avec, outre le morceau titre, l'irrésistible "She'd rather be with me", "Guide for the married man" et une composition de l'inconnu (à lépoque) Warren Zevon ("Like the seasons"). La grande force des Turtles était la qualité des harmonies de Mark Volman et Howard Kaylan qui, après la fin du groupe, allaient enregistrer sous le nom de Fluorescent Flo & Eddie puis de rejoindre Frank Zappa & The Mothers of Invention.
THE VELVET UNDERGROUND "THE VELVET UNDERGROUND & NICO"
S'agit-il seulement d'un grand disque? Ou d'un monument qui a influencé et influence encore des dizaines d'artistes aujourd'hui, même en France? Difficile de le dire . Ce qui est sûr c'est que ce disque a défrayé la chronique. Produit par Andy Warhol, sa pochette était orné d'une banane qui, dans les premières éditions, s'épluchait réellement. Et puis la présence de la sulfureuse et germanique Nico ajoutait un air de mystère à ce groupe issu de l'underground New-Yorkais. La moitié des morceaux sont devenus des classiques. Lou Reed est entré aux panthéon du rock (plus dans la catégorie auteur que chanteur, il faut le reconnaître). Il est difficile d'écouter "Femme fatale" ou "I'll be your mirror" sans que les airs lancinants ne trottent dans la tête pendant des heures. Et puis il y a "Heroin" et encore "All tomorrow's parties". Et le reste ne serait que littérature…
THE YOUNGBLOODS "THE YOUNGBLOODS"
Après 2 albums solo ("The soul of a city boy" et "Young blood"), entre folk et blues, Jesse Colin Young, accompagné de Banana (Lowell Levinger III), Joe Bauer et Jerry Corbitt, fonda les Youngloods. Leur premier album oscille lui aussi entre les mêmmes sphères. En plus des compositions du groupe, quelques reprises de Blind Willie McTell, Mississippi John Hurt et Jimmie Reed pour le blues, Chet Powers et Fred Neil pour le folk, forment un ensemble sans génie, certes, mais qui aujourd'hui encore se laisse écouter sans déplaisir. à la sortie de l'album, ce fut surtout la composition de Chet Powers "Get together" (devenue un hymne hippie) qui fit la réputation du groupe. Ce dernier se bâtit une renommée respectable avant de se séparer au début des années 70. Jesse Colin Young redémarra alors une carrière solo et produisit quelques joyaux entre 1973 et 1977 avant de retomber dans un relatif anonymat.
Voila comment la musique que j'aime a pris un nouveau tournant. Je crois que je ne m'en suis jamais remis, et je ne suis pas le seul... C'est grave, Docteur?
To be continued...