Je voudrais, sans la nommer vous parler d'Elle…
"It seems so long ago, Nancy", chantait Leonard Cohen… Ce devait être vers 1969. Il y a si longtemps, à Nancy, plus de vingt ans après, nos destins se sont croisés pour la première fois. Vous veniez de si loin, d'un autre continent, et moi je n'étais que l'improbable résultante d'une succession de hasards avant que la vie ne fasse de moi l'homme tranquille que je suis devenu. Vous étiez là, près de moi, et je ne le savais pas, mais déjà vous m'aviez condamné, sans procès, du haut de vos certitudes que les miennes heurtaient sans doute.
Et le temps s'est écoulé, lentement, comme coulent les eaux de la Meuse qui m'avait vu naître loin de vous, loin de ce soleil austral qui avait si joliment doré votre peau et vos premières années et dont vos yeux brillent encore si tendrement.
Une course à pied de village où nos chères adolescentes s'affrontèrent en une lutte sans merci; un village de vacances transformé en club de rencontres professionnelles; une autoroute nous menant au pays des cigognes; il n'en fallait pas plus pour que vos certitudes vacillent! Il n'en fallait pas tant pour que votre différence brise mon indifférence! Il a suffi que je m'immerge en votre regard sans même que vous vous en rendiez compte. Il a suffi de quelques mots souris par votre bouche si joliment ourlée.
Non, bien sûr, tout n'a pas été facile. Il n'est pas simple, pour deux êtres que la vie a égratignés, de s'apprivoiser, de s'approcher même. La crainte d'une autre blessure, la peur de n'être pas compris, de ne pas comprendre. Les mots sont maladroits, les gestes gauches. Mais il y a ces yeux qui ne savent mentir, ces pudeurs qui nous protègent et nous fragilisent à la fois.
En cet été où tous ne parlaient et ne rêvaient que de ballon rond, débuta pour nous une autre quête, une autre conquête, celle d'une accessible étoile que nous ne cherchions ni l'un ni l'autre mais dont, sans nous l'avouer, nous rêvions sans doute. Le destin, ce farouche ennemi du hasard, s'était évertué à nous réunir. Pouvions-nous longtemps feindre de l'ignorer?
Du Mont Saint Michel aux Calanques de Provence, du joli petit Port de Saint Goustan aux Crêtes Jurassiennes, des Volcans d'Auvergne aux Remparts de Guérande, nous traçons notre sillon et récoltons ce que nous semons.
Les hivers, certes, sont rudes et les étés bien trop arides. Nous devons, bien sûr, affronter des orages et la méchanceté de quelques fâcheux. Mais d'autres, d'un geste, d'un regard, d'un sourire, d'un silence même, nous redonnent la force quand elle nous abandonne. Et puis n'avons-nous pas l'essentiel? Ce que Bob Dylan appelait, pudiquement, "just a four letter word"…