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Blue Umbrella - Page 30

  • Sad news

    C'était une des légendes de la country music. L'auteur de "Crying time" ("Le temps des pleurs" par Claude François) ou "Together Again" (chanté par Emmylou Harris et les Flying Burrito Bros avec Gram Parsons) et tant d'autres. Bien avant les "Outlaws" il refusa les règles imposées par l'establishment de la Country Music.

    De nombreux artistes se sont réclamés de lui, de Gram Parsons à Dwight Yoakam qui interpréta quelques duos en sa compagnie.

    Buck Owens, puisque c'est de lui qu'i s'agit, était le père du "Bakersfield Sound", Bakersfield, en Californie, où il s'est éteint à 77 ans, le 24 mars.

    PS: Nikki Sudden nous à quittés le 26 mars. je ne le connaissais que de nom, mais il n'avait que 50 ans... Untimely death, comme ils disent...

    Les débuts de printemps sont parfois difficiles...

     

  • Vive le sport !!!

    Y'a pas qu' le marathon dans la vie

    Je vous parle d'un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître. Verdun, en ce temps-là, était une petite ville où il faisait bon vivre, pour l'enfant que j'étais. Verdun, ville souvenir, où les stigmates de la bataille qui avait eu lieu 40 ans plus tôt commençaient à devenir moins visibles dans la campagne environnante. La forêt verte reprenait ses droits sur la zone rouge et l'agriculture gagnait du terrain sur les champs ravagés, payant parfois un lourd tribut en vies humaines, prix de la reconquête d'un territoire détruit par la folie de quelques puissants.

    L'économie verdunoise à cette époque reposait peu sur le tourisme. La ville souvenir n'était pas encore centre mondial de la paix et encore moins ville d'avenir. On ne se déplaçait pas si facilement à ce moment-là, chaque foyer n'avait pas encore sa voiture. Les réfrigérateurs (on disait souvent "Frigidaire") remplaçaient petit à petit les glacières et les gros blocs de glace vendus par des marchands ambulants. Les machines à laver étaient rares (on n'avait pas encore inventé le sèche-linge ni le lave-vaisselle!) et les téléviseurs (chaîne unique de la RTF, bien sûr) étaient réservés à quelques privilégiés.

    Verdun vivait à la fin des années 50 essentiellement de l'armée ou, devrais-je, dire des armées. Il y avait les régiments français et leurs casernes, les quartiers Miribel, Driant, Ancelin, Niel et d'autres, aujourd'hui pour la plupart désaffectés, transformés ou même rasés. Fantassins, artilleurs, parachutistes cohabitaient dans une harmonie toute relative. Les bars prospéraient grâce une clientèle d'appelés qui trompaient l'ennui avec la bouteille. Les soirées étaient souvent animées et la police militaire souvent dépassée. Mais cela faisait partie du folklore comme le clairon du matin, la quille au moment des libérations. Et, oui, il faisait bon vivre.

    Il y avait aussi l'armée américaine, présente jusqu'au milieu des années 60. C'était en fait une ville dans la ville qui nourrissait beaucoup de Français grâce aux emplois qu'elle créait, directement ou indirectement. Les "Ricains" avaient leurs propres écoles qui donnaient lieu d'ailleurs à des échanges. Je me souviens de ces samedis après-midi où nous nous rendions à l'école américaine ou recevions nos petits copains d'outre-Atlantique. Ils avaient aussi leur hôpital, leurs terrains de sport (notamment un stade de base-ball à côté de l'hôpital) et puis leur réseau d'autobus (le réseau de bus urbain français était alors loin de voir le jour) et leurs cités-résidences ("Best Village" et "Kennedy Village"). Et puis il y avait la police militaire. Rien à voir avec son homologue française. Un G.I. ivre ou ayant une attitude incorrecte en ville était immédiatement interpellé, sans ménagement, par 2 ou 3 gaillards au gabarit impressionnant que l'on reconnaissait à leur brassard "MP" (Military Police).

    L'Amérique à Verdun, c'était aussi les femmes qui se promenaient dans les rues avec des bigoudis sur la tête (mais beaucoup moins pédantes que les épouses des officiers français), c'était des voitures aux formes et la taille peu communes et aux noms qui nous faisaient rêver: Chevrolet, Chrysler, Buick, Plymouth ou Studebaker.

    C'est en 1957 que mes parents, la famille s'agrandissant, ont déménagé, quittant la maison où j'étais né, dans un escalier situé au pied de la cathédrale, pour un appartement au rez-de-chaussée de l'immeuble abritant les bureaux des services des impôts, à l'entrée d'une rue en cul-de-sac donnant sur la Meuse. C'était le rêve, pas en raison de la présence des services fiscaux mais parce que nous avions de la place, plus de place, et une salle de bains avec une baignoire. Maître Chronique n'était pas encore de ce monde (il venait juste d'être conçu ou était sur le point de l'être) et je partageais avec mes 2 sœurs une grande chambre contiguë à celle de mes parents (où logerait, à sa naissance, le susnommé). Et puis il y avait un grand couloir (qu'il fallait traverser pour aller à la salle de bains et qui était lieu de passage pour le personnel et les usagers du centre des impôts) dans lequel je devins un virtuose du patin à roulettes (au prix de quelques bleus!).

    Et, surtout, à côté, il y avait la Place d'Isly. C'était un square long et étroit, clôturé et bordé d'arbres, qui allait devenir pendant 4 ans mon terrain de jeux privilégié. Au milieu, un monument dont j'ai toujours ignoré la signification, et qui était en fait un gros tas de pierres taillées.  J'y jouai au base-ball (eh oui, j'avais des voisins, Eric et Marc Benson, qui m'apprirent à manier la batte et le gant) et au football dans le square et je fis du vélo autour du square. Ah! Les gamelles mémorables que je me pris! Mes genoux en gardent encore les cicatrices… Mais je me prenais pour le vainqueur du Tour de France…

    Le Tour de France, c'est à cette époque que je commençai à m'y intéresser. À quel moment précisément? Il m'est difficile de m'en souvenir. Ce que je peux dire, c'est que, dans mes jeux, en 1958 j'étais Charly Gaul et en 1959 Federico Bahamontes. En 1957, j'étais trop jeune et puis Jacques Anquetil, c'était l'idole de ma sœur. Mais j'ai dû voir le Tour en 1957, avec mes parents, dans le Nord Meusien. J'en ai un vague souvenir.

    J'ai écrit plus haut que la TV n'était pas pour nous (ou alors parfois une soirée "Piste aux étoiles" chez le voisin propriétaire, un match de football ou de rugby chez le cousin Philippe G.). L'imagination, pour les jeux d'enfants, était donc au pouvoir. Il y avait bien sûr les jeux de société, en famille: les cartes (belote, barbu, bataille), les petits chevaux, les dames, le nain jaune, le monoply, le 421... Il y avait les jeux de cour de récréation: les osselets, les billes ou les gendarmes et les voleurs (oui, à l'époque, c'était encore un jeu innocent), les cow boys et les indiens.

    Mais il y avait aussi les moments où j'étais seul et n'avais pas envie d'effort physique. Alors je faisais travailler mes méninges pour m'inventer des jeux. C'est ainsi que sont nés les "petits coureurs".

    Au début, j'ai fait comme les autres, avec des billes. Il fallait tracer un circuit sur un sol s'y prêtant et l'on jouait, à plusieurs, avec éventuellement chacun plusieurs coureurs. On lançait la bille, chacun son tour, le plus loin possible en s'efforçant de ne pas quitter la route et de ne pas heurter la bille qui précédait. Au début, on jouait avec plusieurs billes symbolisant chacune un coureur. Par la suite, je fis l'acquisition (ou plutôt on la fit pour moi) de petits coureurs en plastique assez grossier. Mes camarades de jeux en faisant de même, ce fut le premier progrès du jeu. Par la suite, on put même trouver des figurines plus réalistes: des vélos métalliques avec des coursiers amovibles en plastique, finement sculptés, aux couleurs des équipes du moment.

    Que d'après-midis consacrés à ce jeu sur la Place d'Isly qui était un endroit rêvé pour cela. Que de chamailleries voir même de bagarres! Mais quelle fierté quand on gagnait! Il m'arrivait aussi souvent de jouer seul, avec plusieurs coureurs qui se disputaient la victoire. Et allez savoir pourquoi, malgré ma main innocente, quand j'étais seul, c'était toujours mon favori qui gagnait. Le seul défaut de ce jeu, celui du moins qui me perturbait le plus à l'époque, c'est que c'était exclusivement un jeu de plein air. Et il n'y avait pas que des jours de soleil dans la Meuse.

    Vers 1960/1961, je devins supporter de Raymond Poulidor, bien avant que ce ne soit la mode, simplement parcequ'il était né dans la Creuse, comme les trois quarts de mes ancêtres. Et je ne lui fis aucune infidélité par la suite. En 1961 également, il me souvient d'une journée unique: distribution des prix à l'école le matin, Tour de France à Briey en début d'après-midi et visite du Général-Président de Gaulle à la mairie de Verdun en fin de journée.

    Oui mais un événement vint modifier le cours de ma jeune existence, événement qui fut pour moi, au début, un véritable drame. Mes parents se mirent dans la tête de déménager. Certes, nous ne partîmes qu'à 2 kilomètres, mais c'était pour moi le bout du monde. Adieu mes copains et copines… Adieu mon terrain de jeu favori…

    Evidemment, nous avions visité notre futur lieu de résidence et j'y trouvais des avantages, mais c'était un déchirement dont, à l'approche de mes 9 ans, je pensais ne jamais me remettre. Je ne savais pas encore que la maison où j'allais vivre pendant 13 ans (dont 9 à temps plein) resterait pour moi, pour toujours, la maison du bonheur.

    Car c'était d'une maison qu'il sagissait, un vraie maison, coupée en deux dans une parfaite symétrie bilatérale. Nous en occuperions la partie droite, vue de la rue. Une maison avec un rez-de-chaussée et deux étages (plus une cave où je craignais toujours d'être attaqué par un loup errant, longtemps avant de me prendre de passion pour ce noble animal), une pelouse (parfaite pour le foot, qui restait quand même ma première passion) et une partie au revêtement gravillonné, idéal pour les circuits cyclistes miniatures. Et puis il y avait deux hauts marronniers, déjà célèbres dans la blogosphère (voir "La stratégie de l'arbre à disques" parmi les cool memories de Maître Chronique). Ces marronniers auraient d'ailleurs bien d'autres fonctions (pour les disques, j'ai découvert récemment, pour ma part j'avais une autre stratégie – ou peut-être ne me cachais-je pas?), mais c'est une autre histoire.

    Début août, à peine installés, nous n'avons pas le temps de prendre nos marques car c'est déjà le départ pour deux semaines de vacances  en Normandie, non loin d'Avranches. Ces deux semaines glaciales ont au moins eu le mérite d'atténuer le traumatisme du déménagament. Et puis la rentrée des classes se profile à l'horizon avec, comme c'est de tradition, la pluie et la grisaille. Et puis, quelle horreur, les devoirs!

    Mais j'ai quand même eu le temps de m'approprier les lieux. Pas de chambre à moi (nous étions 4 enfants), mais beaucoup plus de place et puis un jardin où j'ai très vite pu reprendre mon activité de coureur cycliste par procuration, presque toujours en solitaire désormais. Et jouer au foot. Parfois avec mon père, un des marronniers servant de poteau de but, ou seul contre un mur, cumulant les rôles de gardien de but et d'avant centre. Maître Chronique était encore trop jeune pour partager ces jeux mais il allait par la suite révéler un redoutable pied gauche! En revanche, faute d'un terrain favorable, j'ai abandonné définitivement les patins à roulettes.

    Le temps passa ainsi, doucement, tranquillement. C'était "le temps des porte-plumes" (un peu de pub pour un film que j'ai bien aimé), le temps de l'innocence, le temps où l'on pensait qu'on aurait toujours le temps. Comme je l'ai déjà dit, il pleuvait souvent, à l'époque. Jouer dehors n'était pas toujours possible alors j'imaginai de transporter en intérieur mes jeux de plein air. Il y avait de la place, notamment dans notre chambre où la disposition des lits laissait suffisamment d'espace pour s'ébattre. Mais comment joeur aux billes sur un parquet? Comment jouer au football dans une chambre?

    La réponse, je l'ai trouvée dans un jeu de cartes. Rassurez-vous, je ne lis pas dans les tarots. Il s'agissait seulement d'un jeu de 52 cartes, tout à fait ordinaire. Et ce jeu me permit de faire à la fois de jouer au football et de faire du vélo! Étonnant, non?

    Pour le foot, c'était simple: la chambre transformée en stade, 11 cartes rouges, 11 cartes noires (c'était pratique, il y avait même les numéros de 1 à 10), un morceau de paiper d'aluminium roulé en boule pour le ballon, des petits chevaux (ou autres objets) pour figurer les buts et la partie pouvait commencer. Il suffisait, par un mouvement du pouce (que j'aurais dû faire breveter), de pousser le ballon avec les cartes et de s'efforcer de marquer un but. On pouvait jouer seul (et là, l'équipe favorite gagne toujours) ou à deux (ou plus si affinités). Mon frère étant toujours trop jeune, et ma petite sœur étant une fille qui ne comprenait rien aux jeux des garçons, je jouais seul la plupart du temps à moins que mon ami D.  ne soit là. Mais le petit frère était déjà curieux et moi, dans ma condescendante bonté, je l'autorisais à participer par le regard à mes "jeux de grands".

    Et pour le vélo, me demanderez-vous? C'était simple aussi. Le parquet était configuré en vélodrome, un circuit en anneau, et les coureurs figurés par des cartes tournaient sur cet anneau, mûs par ce geste du pouce inimitable. Le premier passant la ligne d'arrivée gagnait. Et Poulidor gagnait souvent!

    L'étape suivante consista en une transformation des cartes. En effet, le côté anonyme des objets était un peu gênant. Il fallait se souvenir que le valet de trèfle était Rudi Altig, le 9 de pique José Perez-Frances, etc. Alors je décidai d'inscrire le nom des coureurs sur les cartes (le jeu avait depuis longtemps perdu son usage originel). Mais, nonobstant le fait qu'il fallait un second jeu pour les footballeurs, cela obligeait à concourir avec toujours les mêmes participants. Je décidai donc de remplacer les cartes par des morceaux de carton de ma confection, d'abord de la taille des cartes puis, après réflexion, un peu plus petits. Ce fut donc l'ouverture de la chasse au carton, sous toutes ses formes; boîtes de chaussures et autres objets furent ainsi prestement débités pour devenir footballeurs et coureurs cyclistes (j'avais aussi, longtemps avant, organisé des compétitions de Formule 1, mais le bruit des moteurs était trop difficile à simuler).

    Vint ensuite la désanonymisation (!). Il faut savoir que, dès l'aube des sixties, je devins un grand consommateur de magazines sportifs. J'avais attrappé le virus chez Tonton Yves, abonné depuis sa jeunesse à "But et Club – Le Miroir des Sports" (revue hebdomadaire en noir et blanc) et passionné de vélo. Tata Claudine, le constatant, m'offrit un abonnement à "Miroir-Sprint", magazine hebdomadaire concurrent aux pages "sépia". Et je commençai à acheter, parallèlement et quand mes faibles moyens me le permettaient, d'autres revues mensuelles, notamment "Miroir du Cyclisme" et "Miroir du Football". M'armant de ciseaux et de colle, j'ornai donc mes petits cartons des photos de mes sportifs favoris. C'était un peu le concours avec D. qui me suivait dans mon évolution et apportait ses propres idées. C'était à qui dégotterait la photo que l'autre n'aurait pas. Je me souviens notamment de deux coéquipiers de Raymond Poulidor en sa légendaire équipe Mercier BP. Il s'appelaient Prosper Dalis et Gianni Marcarini. Ils n'ont pas laissé une grande trace dans l'histoire de leur sport (même si le second, implanté dans le Morbihan, , a lancé une marque d'équipements cyclistes à son nom). Si j'en parle, c'est parce que, malgré de longues recherches, je n'ai jamais retrouvé mon magazine où ils figuraient en photo alors que D., lui, les avait. Vous avez dit bizarre?

    Le temps passa, les "petits coureurs" occupaient une grande partie de mes loisirs et mon frère commença à participer plus activement au fur et à mesure que D. se recentrait vers d'autres activités moins enfantines. Les compétitions étaient de plus en plus passionnées, les courses en plein air, comme les matches de football sur parquet, définitivement abandonnées. Elle avaient lieu dans la chambre en hiver et à l'étage supérieur à la belle saison (ma chambre d'été), les pièces n'étant pas chauffées (mais leur configuration permettait de tracer un circuit moins linéaire avec des passages sur bois de sapin et d'autres sur linoléum!). Le parquet du second étage était à l'état brut, d'où une collection d'échardes dont nos genoux se souviennent! Dans la chambre à coucher le plancher était vitrifié mais les lames étaient parfois disjointes et certains coureurs, emportés par l'élan d'un virage trop rapide, s'engouffraient dans les interstices où ils disparaissaient à jamais. On pouvait d'ailleurs vérifier leur présence dans le gouffre à l'aide d'une lampe de poche! Peut-être sont-ils encore là, 40 ans après?

    Il y avait 2 types de courses: les courses en ligne et les courses par étapes (notamment le Tour de France). Pour les premières, le classement était simple. Pour les autres, en revanche, il fallait trouver une méthode pour le classement général. Le première en date, et la plus simple, consistait à additionner les places obtenues aux différentes étapes. C'était simple, mais peu satisfaisant pour un individu dans mon genre qui cherchait toujours le détail qui pouvait améliorer.

    Il fallait parvenir à convertir les points en minutes et secondes, afin de donner davantage de réalisme aux résultats. Les cartes à jouer étaient depuis longtemps oubliées mais c'est à ce moment qu'arrivèrent les dés. Je passerai sur les méthodes de calcul, mais le résultat attendu fut obtenu. Et Maître Chronique et moi-même devinrent les Lucky Lukes du calcul des temps en minutes et secondes, devenu vite aussi naturel que le système métrique! Et ce système permit aussi de procéder au classement par points et à celui du grand prix de la montagne.

    Des détails restaient bien entendu à améliorer, et ils le furent petit à petit. Mais un autre inconvénient, de taille, existait. Quand je rentrais du collège, je ne pouvais pas me livrer à mon jeu favori et cela d'autant moins que j'avais entamé une brillante carrière de footballeur (sur un vrai terrain et avec un vrai ballon cette fois) qui occupait une bonne partie de mes jeudis et dimanches. Et j'avais des parents, charmants certes, qui avaient une passion que je ne comprenais pas: les devoirs! Il m'était donc difficile de commencer une étape du Tour de France (d'autant que les déplacements, à genoux, sur le parquet étaient bruyants) tant que je n'avais pas prouvé que je m'étais affranchi de mes obligations.

    La solution était la miniaturisation. Je commençai donc à confectionner un circuit à l'aide de chemises cartonnées reliées entre elles par du ruban adhésif. La taille de l'objet correspondait à celle du tapis qu'il était facile de glisser sous le lit en cas d'urgence. (Vous me suivez? Non, pas sous le lit, dans mon raisonnement!) Ce circuit était tracé au crayon feutre et divisé en un certain nombre de cases numérotées, à l'exemple du jeu de l'oie. Il m'a donc fallu réduire la taille de mes coureurs de carton afin de les adapter à celle des cases. Abandonné désormais le célèbre mouvement du pouce droit. Les dés à jouer avaient pris le relais. Et les calculs pour les classements généraux devenaient de plus en plus sophistiqués. Mon petit frère avait grandi et apportait désormais sa contribution à l'évolution. Peut-être vous le dira-t-il? Il vous parlera aussi sans doute de son "idole", l'Italien Michele Dancelli. Ma mémoire ne me permet pas de dire qui a fait quoi, mais cela a-t-il une quelconque importance? C'était un "travail" d'équipe fraternelle.

    Le dernier motif d'insatisfaction pour moi consistait dans le fait que certains résultats étaient aberrants. On pouvait voir André Darrigade, pur sprinter, gagner au sommet du Mont Ventoux (cela devint possible avec l'EPO, certains coureurs incapables auparavant de gravir un pont de chemin de fer sans se faire décrocher gagnant 5 Tours de France consécutifs sans un jour de défaillance!) ou Federico Bahamontes, grimpeur exclusif,  battre au sprint le peloton sur le vélodrome de Bordeaux. Je résolus donc d'oublier les "vrais" champions et de les remplacer par des coureurs fictifs qui n'avaient pas de patroine génétique les prédestinant à être plutôt grimpeurs que sprinters.

    Je ne sais plus jusqu'à quel âge j'ai pratiqué ces jeux. Sans doute au-delà de la limite raisonnable (?). Mais pendant ce temps-là, au moins, je ne faisais pas d'autres bêtises. Je sais seulement que parfois, plus tard, beaucoup plus tard, j'en ai eu la nostalgie. Mais sans doute était-ce davantage la nostalgie d'une époque heureuse qui remontait par bouffées à des moments où je ne me sentais pas bien dans ma vie.

    Je sais aussi que le virus s'est transmis et que mon fils, longtemps après moi s'est passionné pour le cyclisme (il possédait d'ailleurs à moins de 10 ans une culture en la matière assez stupéfiante). Il a commencé lui aussi à organiser ses petites courses, les assortissant de commentaires passionnés. Alors, pour lui faire gagner du temps, je lui ai confectionné un circuit sur une plaque de contreplaqué, lui inculquant les premiers rudiments de mes règles du jeu. À lui de jouer, dès ce moment-là. Mais il a joué moins longtemps que moi…

     

  • Un disque, un jour: Marjory Razor Blade (1973)

    KEVIN COYNE: MARJORY RAZOR BLADE

     

     

    Nancy, lundi 23 février 1974. Il y avait à l'emplacement actuel de la FNAC un grand magasin qui occupait l'ensemble de l'immeuble: "Les Magasins Réunis". Au rez-de-chaussée, se situait le rayon disques, ma foi fort bien achalandé, où je laissais bon an mal an, depuis un peu plus de 3 ans, une bonne partie de mon salaire (eh oui, j'avais la chance d'être étudiant et de gagner ma vie en même temps).

     

    Ce début d'après-midi ensoleillé était placé sous le signe du désœuvrement. On devait être en période de grève (un peu avant peut-être), celle dont le slogan était "nous viendrons à bout d'Haby", en référence au Ministre de l'Éducation Nationale du moment.

     

    Dans un bac, je découvris un objet qui attira mon attention. Un double album à un prix abordable, un artiste dont la trogne et la dégaine me plaisaient. Je ne le connaissais même pas de nom mais je l'imaginais en folk singer anglais, impression confirmée par la liste des instruments parmi lesquels la guitare acoustique, 6 et 12 cordes, la mandoline, la slide guitare.

     

    Et puis il y avait le label, une nouvelle marque lancée par un Anglais un peu fou, Richard Branson: Virgin, jusque-là magasin de disques branché de Londres.

     

    Je fis donc l'acquisition du précieux objet et me ruai vers ma chambre d'étudiant, rue de Metz, dans un appartement "chez Paulette" où je voisinais avec deux autres fous de musique (et qui, eux, pratiquaient de surcroît).

     

    Et là, ce fut l'horreur. Dès les premières notes, ou devrais-je dire les premiers miaulements, je regrettai mon achat. Une chanson a cappella "Marjory Razorblade" torturée par une voix indéfinissable mais tout sauf harmonieuse. J'étais avant tout un amateur de belles mélodies et de belles harmonies vocales. Quelle bêtise n'avais-je pas fait? J'écoutai néanmoins les 4 faces et, même si je notai quelques moments de répit comme "Talking to no-one", "House on the hill" ou "Jackie and Edna", l'impression globale était atroce. Comment pouvait-on écrire et chanter des titres comme "Karate king" ou "Dog Latin"? Enfin, écrire et chanter c'était beaucoup dire!

     

    Je regrettais vraiment ma dépense inconsidérée. Aussi décidai-je de m'infliger une punition afin, à l'avenir, de réfléchir avant de dépenser. J'avais le choix entre 2 Pater Noster et 3 Ave Maria ou une deuxième écoute du disque. Et c'est cette dernière solution que je retins. Et là, tout avait changé. Je n'entendais plus la chanson-titre de la même façon et, déjà, "Talking to no-one" se gravait en moi au point que je le fredonnais dès la première note.

    Une fois le dernier morceau de la quatrième face "Chicken wing" terminé, je n'eus qu'une envie: écouter l'œuvre dans son ensemble une troisième fois, ce que je fis immédiatement.

     

    Depuis, c'est une histoire d'amour pour un artiste unique, qui dessinait et peignait également, avec un style très personnel.

     

    Kevin nous a malheureusement quittés en décembre 2004 victime d'une maladie pulmonaire handicapante. Il a laissé une œuvre musicale à nulle autre pareille en 35 ans d'une carrière commencée en 1969 avec son groupe "Siren". Et deux albums nouveaux ont été publiés depuis son départ.

     

    Quant à "Marjory Razorblade", il a été réédité en CD en 1990 et est toujours disponible, agrémenté de 2 titres bonus publiés à l'origine en single. Deux regrets cependant: un morceau ("Eastbourne Ladies") a été raccourci de plus d'une minute et le livret oublie de préciser des détails tels que les noms des musiciens! En lieu et place, un catalogue des parutions de Virgin en CD, dont l'album suivant de Kevin: "Blame It On The Night", qui est mon favori… mais qui n'a jamais été édité en CD!

  • R.I.P. - Que sont mes disquaires devenus?



    VERDUN

    Card Shop (Vidéo Disques), Librairie Frémont, Pop Music, Fivet, Monoprix

    NANCY

    La Discothèque, Dupont-Metzner, Le Vent, Magasins Réunis, Martin-Musique, Pop 35, La Samaritaine, Chorus (Laxou)

    METZ

    Bémer Musique

    CHÂLONS SUR MARNE (CHÂLONS EN CHAMPAGNE)

    À la Clé de Sol, Vitamine C, Arcane, Audiopro, HiFi Club, Madison, Grand Bazar de la Marne, Prisunic, Parenthèses

    PARIS

    Music Action, Radio-Pygmalion, FNAC Châtelet, Open Market, Givaudan, Lido Musique, l'Anarchie des Accords, Tarentula, Zéro Plus

    REIMS

    À la Clé de Sol, Librairie Michaud, Nuggets, Superclub

    ÉPINAL

    La Calypsothèque, Nuggets, Magasins Réunis

    EVRY 2

    Madison, Guirao SA, Nouvelles Galeries, Euromarché

    Vente Par Correspondance

    Wah-Wah Express, Inter 33, Dave Music, Ada Productions

    STRASBOURG

    l'Oreille d'Or

    BLOIS

    Cyborg

    GENÈVE

    Doctor Boogie

    Cet inventaire à la Prévert vous fait vous demander, mes chers lecteurs: "Mais où veut-il bien en venir?". Il s'agit simplement d'une liste, sans doute pas exhaustive, des lieux où j'ai dépensé tant de Francs ou d'Euros, depuis près de 40 ans, pour me constituer une discothèque ma foi imposante, au hasard des pérégrinations et méandres de de la vie. Ils ont un point commun, c'est qu'ils ont tous disparu du paysage (à l'exception de 2 ou 3 qui ont seulement supprimé leur rayon disques), ce qui a conduit mon frère à me traiter d'Attila parce que que là où je passe, les disquaires trépassent et jamais ne refont surface.

    Il y a là, pêle-mêle des disquaires exclusifs et passionnés, des vendeurs d'instruments de musique ou d'élecro-ménager, des libraires. Il y a aussi des supermarchés ou des grands magasins dont la qualité des rayons disques feraient rêver bien des musicophiles aujourd'hui.

    Heureux temps où l'on pouvait se promener dans une ville, pousser une porte et trouver en fouillant fébrilement, immanquablement, le trésor qui allait nous procurer des heures de bonheur, en attendant le prochain.

    Finalement, c'est bien d'avoir été jeune il y a longtemps...

     

  • Un disque, un jour: Sammy Walker - Song for Patty (1975)

    Sammy Walker – Song for Patty (1975)

     

     

    L'histoire commença en 1978. Rock & Folk, dans sa rubrique "disques import", publia un article qui attira mon attention. Un certain Sammy Walker venait faire quelques concerts en France, notamment pour un festival-hommage à Woody Guthrie. Et pour l'occasion, WEA (qui à l'époque promouvait encore la musique) avait importé les 2 albums publiés en 1976 et 1977 par le jeune Sammy ("Sammy Walker" et "Blue Ridge Mountain Skyline") et objets de la chronique rocketfolkienne. Une voix à la Dylan, des influences à charcher chez Woody Guthrie, Hank Williams, Merle Haggard ou Phil Ochs. Bref, il me fallait ces disques. Mais voilà, les temps étaient durs (12 mois d'armée et un mariage ne m'avaient pas enrichi!) et les disquaires locaux peu compétents. Je ne connaitrais donc jamais Sammy Walker.

     

    Samedi 17 Mars 1979, Épinal, La Calypsothèque (disquaire compétent et disparu depuis longtemps); je fouille dans les étagères gorgées de 30cm et découvre un rayon folk. Et là, ô miracle, au milieu d'autres publications signées "Le Chant du Monde", je vois apparaître un superbe objet rouge "Sammy Walker: Song for Patty". Je ne savais pas encore que je tenais entre mes mains ce qui est peut-être le dernier grand disque de "topical songs" de l'histoire. Mais la présentation déjà me séduisait: pochette tripyique, avec les paroles en anglais et en français (traduction de l'excellentissime Jacques Vassal, qui signait également les commentaires de présentation). Et puis le disque, publié en 1975 était produit par le grandissime Phil Ochs, disparu (he died from his own hand) en 1976.

     

    Il me fallut attendre le lendeman soir et le retour at home pour poser la rondelle sur mon électrophone (pour les plus jeunes, c'est un appareil qui servait à écouter de la musique). Et là, nouveau miracle: cette voix, cette guitare! Ce Sammy Walker, 22 ans tout juste, c'était Dylan 15 ans plus tôt, avec des accents de Woody Guthrie, c'était même plutôt mieux! Aussi bon que John Prine, c'est dire! Une guitare, une voix, et parfois les chœurs de Phil Ochs, Rien que la substance. 27 ans après, je réécoute ce disque avec le même plaisir et je maintiens mon avis de l'époque. Un vrai musicien (il avait commencé le piano à 5 ans et vivait avec des parents fous de musiques), un vrai poète.

     

    Et les chansons, les mélodies, les textes! Dès le début "Song for Patty" nous ramène vers un fait divers qui défraya la chronique; Patricia Hearst, riche héritière, avait été enlevée par des révolutionnaires (The Symbionese Liberation Army) dont elle finit par épouser la cause "But she opened her eyes and looked around her / And saw how often money takes the place of man / Now she's runnin' from a world that doesn't want her / Hidin' in the silence and the wind".

     

    Au bout de 2 minutes, Sammy m'a conquis. Et puis vient "Ragamuffin Minstrel Boy", visiblement dédié à Bob Dylan ("That ragamuffin minstrel boy from a little minin' town"). Des titres humoristiques comme "My Old Yearbook" ("My girl dreamed about Prince Charming, and she ended up with me"). D'autres plus politiques "A Simple Hour Operation" (et un règlement de comptes avec Richard Nixon comparé à Hitler). "Closin' time", critique sociale à l'habillage très poétique et le très émouvant "Testimony of a dying lady" qui met en exergue (et c'est toujours d'actualité) l'état du système de la santé et de la justice aux USA. Tout est à l'avenant.

     

    Dix titres sont de la plume de Sammy, les deux derniers sont une reprise de Woody Guthrie "I ain't got no home (In this world any more)" et une de Phil Ochs "Bound for glory (The story of Woody Guthrie)". Phil dont il est émouvant d'entendre la voix, une dernière fois, un an avant son suicide.

     

    Ce disque n'a malheuresement pas obtenu le succès auquel il pouvait légitimement prétendre. Sa qualité a été sans doute éclipsée par le destin tragique du producteur dont on nota que, à l'époque où sa santé mentale se dégradait rapidement, il était encore capable de détecter le talent. Et quel talent! Et la chanson-titre, en raison de son histoire, a sans doute fait de l'ombre aux autres.

     

    Août 1979, Strasbourg, l'Oreille d'Or (un disquaire plein de trésors de la Place Kléber, lui aussi disparu). Je trouve, alors que je ne l'espérais plus, le troisième album de Sammy "Blue Ridge Mountain Skyline", plus country, plus proche de John Prine que de Bob Dylan. Et encore une reprise de Woody Guthrie ("Dust storm disaster") et une, superbe, de Jimmie Rodgers, le blue yodeler ("Waiting for a train").

     

    Mars 1980, Châlons sur Marne, à La Clé de Sol (disquaire disparu), c'est l'acquisition de "Songs from Woody's Pen", album hommage paru l'année d'avant.

     

    Un disque, le second "Sammy Walker", que je n'ai pas réussi à trouver, et puis 20 ans de silence. Et arrive internet. Un jour de septembre 2000, je tape par hasard le nom de Sammy Walker sur le browser de mon disquaire en ligne favori (CD Now) et là, nouveau miracle: les 2 albums Warner, en CD, sont disponibles en import japonais. Très chers. Mais qu'à cela ne tienne.

     

    Mais Sammy avait bel et bien disparu, rien de nouveau depuis 1979.

     

    Avril 2003, cette fois, c'est le moteur de recherche d'Amazon. Je tape sans y croire "Sammy Walker". Et là, nouveau miracle. Deux nouveaux disques apparaissent: "Sammy Walker in Concert", enregistré live en Italie en 1989 et "Old Time Southern Dream" enregistré en 1994. Encore deux grands albums. La magie est toujours la même.

     

    Depuis, la voix de Sammy Walker s'est encore fait entendre sur deux titres de l'album-reportage de l'Anglais Martin Stephenson "The Haint of the Budded Rose (A Musical Ramble Through North Carolina)" en 2000: une reprise "Green, Green Grass of Home" et une composition: "Some Day I'm Gonna Rock & Roll".


    Six albums, six trésors que l'on peut encore trouver, si l'on cherche bien, parfois chers, parfois d'occasion ou même en "custom record" pour deux d'entre eux ("Song for Patty" et "Songs From Woody's Pen" publiés chez Folkways)

     

    Si vous avez aimé le jeune Bob Dylan, Sammy Walker est pour vous aussi…