ERIC ANDERSEN: STAGES - THE LOST ALBUM
Dernier volet (pour l'instant) de la série consacrée à Eric Andersen. Lors de son concert parisien de la semaine dernière, il a annoncé sa chanson "Woman She Was Gentle" comme faisant partie de son album "Stages". Pour l'occasion, il avait bénéficié de la participation vocale de Joan Baez. (À l'époque, de retour du Vietnam où elle menait sa croisade contre la guerre, elle avait offert cette collaboration en cadeau d'anniversaire à Eric).
Mais ce disque a une histoire, une histoire tragique.
Depuis 1965 et "Today Is The Highway", Eric était à la recherche d'une véritable reconnaissance, celle qu'auraient dû lui valoir des titres comme "Violets Of Dawn", "Thirsty Boots" ou "Close The Door Lightly When You Go", que leur beauté intemporelle fait résonner aujourd'hui comme il y a 40 ans. Après sa période "Vanguard" conclue par le nashvillien "A Country Dream", Eric publia 2 albums "Avalanche" et "Eric Andersen" qui, malgré leur qualité, ne rencontrèrent qu'un succès marginal.
Et puis, en 1972, il y eut "Blue River" avec des titres comme "Faithful", "Is It Really Love At All", "Sheila" ou "Blue River" qui marquèrent un début de célébrité, lui valant d'être rangé aux côtés de gens comme Jackson Browne, Joni Mitchell (qui participe au disque) ou James Taylor. Les critiques furent unanimes et chacun considérait (Lenny Kaye notamment) qu'Eric avait franchi le pas qui jusque-là le séparait de la renommée.
Eric se remit donc au travail et, en novembre 1972, repartit pour Nashville afin d'enregistrer un nouveau disque et ainsi concrétiser l'espoir généré par "Blue River". Le groupe réuni était constitué de la fine fleur des lieux (David Briggs, Pete Drake, Kenny Malone et quelques autres) ainsi que d'invités de marque comme Joan Baez ou Leon Russell. L'inspiration était là et 9 titres furent enregistrés jusqu'en février 1973. Les mixages furent réalisés, les photos de pochettes réalisées, et le résultat final combla Eric qui avait conscience d'avoir réalisé son chef d'œuvre.
Parenthèse: pour ma part, j'ai vraiment découvert la discographie d'Eric Andersen à partir de 1975 et de la sortie de "Be True To You". J'ai donc cherché à me procurer l'ensemble de ses disques, ce qui ne fut pas difficile. 2 exceptions: "Avalanche" que mon ami Philippe me dégotta quelques années plus tard d'occasion et en import italien (thanx again Phil), et "Stages", dûment référencé chez Columbia mais apparemment épuisé et introuvable même en collector.
Ce ne fut que beaucoup plus tard, en 1991, que je connus enfin l'horrible vérité. Eric déclara, à propos de son début de carrière et en particulier de "Stages": "I've made every wrong turn. I've had every bad luck that can happen. So I'm ready for the good luck".
L'album était donc terminé, promis au succès. Il restait à envoyer les bandes à New York: 30 boîtes de bandes multipistes et 10 boîtes de bandes mixées en 2 pistes. Et l'impossible se produisit. Alors qu'Eric était assis dans un bureau de Columbia Records à New York, un membre de la firme l'informa qu'il venait de recevoir un coup de fil: "Les bandes ont été perdues. Nous n'avons plus rien. Il n'y a plus d'album".
Columbia était en pleine tourmente, pour d'autres raisons, le directeur, Clive Davies, avait été viré, on allait de réorganisation en restructuration (déjà) et personne ne chercha vraiment a savoir ce qui s'était passé. Les bandes avaient-elles été envoyées, étaient-elles arrivées à New York? Personne n'avait la réponse, personne ne voulait la chercher.
Ce fut un traumastisme pour Eric qui suivit Clive Davies chez Arista, compagnie que Davies venait de fonder. Il réenregistra 6 des titres de "Stages" pour "Be True To You", mais l'état de grâce était terminé. "Du point de vue de ma carrière, je savais que c'était un désastre", dit Eric, "J'ai réenregistré certains titres mais, bien sûr, ce n'était plus pareil. Ce n'était plus le feeling du moment". Et c'était aussi le moment où les "singers-songwriters" passèrent de mode, il n'y avait plus de place pour un artiste de l'élégance et de la classe d'Eric Andersen à la fin des seventies.
Et le temps s'écoula. Eric partit vivre en Europe, se remaria, eut 4 enfant, sortit 2 albums et une B.O.F. confidentiellement. Et je continuais à attendre son prochain album.
Le vent tourna à la fin des années 80. L'émergence d'artistes comme Tracy Chapman ou Suzanne Vega redonna un public à cette musique folk, aux qualités littéraires, qui était la marque de fabrique d'Eric Andersen. En 1988, Vanguard publia une compilation, "The Best of Eric Andersen", Columbia réédita "Blue River" et, mieux encore, Gold Castle Records fit paraître un nouvel album "Ghosts Upon The Road" qui démontra à quel point le temps avait bonifié les qualités artistiques de notre ami.
Chez Columbia / Sony, un label spécialisé dans les rééditions, Legacy, avait été créé. Une productrice maison, Amy Herot, entendit parler, au moment de la réédition de "Blue River", du destin de "Stages". Elle se lança alors dans une enquête, à la manière d'une détective, dans les caves de Columbia à partir de février 1987. Sans succès pendant longtemps. Finalement, le 30 octobre 1989, Amy reçut un appel de Mark Wilder, un ingénieur des studios Columbia à New York qui l'informa que 40 boîtes de bandes d'Eric Andersen avaient été retrouvées. Amy comprit qu'il s'agissait des bandes perdues de "Stages" et faxa immédiatement la nouvelle à Eric qui était à Tokyo à ce moment: "Eric - Nous avons trouvé ce que tu cherchais! (Tout!)!!!!".
Nul ne sait ce qu'il était advenu des boîtes pendant plus de 16 ans. Vraisemblablement n'avaient-elles été envoyées de Nashville que vers le milieu des années 80, au moment ou un destockage avait eu lieu à Nashville. Le plus étonnant est que les bandes aient été retrouvées si longtemps après, tout simplement, parce qu'elles n'avaient jamais été encodées dans le système informatique. Eric était très excité par la nouvelle. C'était comme s'il avait retrouvé un morceau perdu de lui-même.
Il avait conscience d'avoir écrit quelques un de ses meilleurs titres pour "Stages". Le fait de réentendre enfin son album perdu le conforta dans ce qu'il ressentait. "Woman She Was Gentle" "Moonchild River Song", "It's Been A Long Time" ou "Time Runs Like A Freight Train" font partie de ses classiques, de ces œuvres qu'on ne peut pas dater parce qu'elles ont une qualité qui défie le temps.
Les 9 titres originels furent remixés et remasterisés par le producteur d'origine, Norbert Putnam. Eric décida d'y ajouter 3 nouveaux titres ainsi que "Dream To Rimbaud", enregistré à l'époque de "Blue River". Et "Stages", devenu "Stages: The Lost Album", fut enfin publié.
Bien sûr, 18 ans s'étaient écoulés. La carrière d'Eric eut sans doute été autre si ces bandes avaient suivi le destin qui aurait dû être le leur. Mais pour ceux qui aimaient l'artiste, ce disque fut en 1991 un véritable cadeau. Et quand on le voit aujourd'hui, quand on l'entend chanter avec le même bonheur, avec la même simplicité qu'à ses débuts, on se dit que, finalement, le destin, malgré tout, n'a pas été si mauvais pour Eric.

Deux gaillards en noir étaient sur la miniscule scène, en compagnie d'une jeune femme: Stan Noubard Pacha, Eric Andersen et sa jeune épouse, Inge. Ils semblaient là chez eux, Eric surtout qui plaçait à droite et à gauche différents objets: capodastre, médiator, verre d'eau,... La set-list était scotchée sur le vieux piano, invité permanent des lieux. Encore quelques minutes d'attente, Eric repart s'accouder au bar et, enfin (et à l'heure), Stan et Eric remontent sur scène. Hervé présente Stan, guitariste de blues et de talent et annonce celui que l'on ne présente plus. "Ce soir, l'ambiance sera sans doute plus blues que folk".
C'est en effet à trois que le programme se poursuit. Inge a rejoint sur scène celui qu'elle a épousé récemment.


Le volume 1, "The Street Was Always There" est paru en 2004. En plus de 2 de ses propres compositions ("Waves Of Freedom" et "The Street Was Always There") réenregistrées pour l'occasion, Mr. Andersen met à l'honneur Fred Neil (l'auteur de "Everybody's Talking") avec "Little Bit Of Rain" et "The Other Side Of Life"; David Blue avec "These 23 Days In September" (l'album du même nom vient d'être réédité par Wounded Bird Records ainsi que "Me, S. David Cohen"); Buffy Sainte-Marie et "Universal Soldier"; Peter LaFarge (dont on connaît surtout "The Ballad Of Ira Hayes") avec "Johnny Half-Breed"; Phil Ochs pour "I Ain't Marching Anymore" et "White Boots Marching In A Yellow Land"; Paul Siebel et sa "Louise"; Tim Hardin (dont chacun connaît "If I Were A Carpenter" ou "Hang On To A Dream") avec "Misty Roses"; Patrick Sky et "Many A Mile"; et, bien sûr, Maître Bob Dylan est à l'honneur avec "A Hard Rain's A-Gonna Fall". On peut remarquer que les Indiens, trop souvent oubliés, sont ici bien présents avec Patrick Sky, Buffy Sainte-Marie et Peter LaFarge. Force est de noter que les survivants sont rares et, si l'on excepte Dylan et Andersen, les autres sont soit quasiment retirés des affaires (Patrick Sky et Paul Siebel), soit loin des sentiers de la gloire (Buffy Sainte-Marie). Quelques invités sont là comme Patrick Sky à la cornemuse, John Sebastian à l'harmonica, Happy Traum à la guitare ou - plus surprenant - Wyclef Jean qui vient prêter sa voix.
Le volume 2, "Waves", a été publié en 2005. Le principe est le même, 3 titres du maître de cérémonie ("Today Is The Highway", "Hymn Of Waves" et "Thirsty Boots") et quelques reprises. Bob Dylan ("John Brown"), Fred Neil ("I've Got A Secret") et Phil Ochs ("Changes") sont encore là pour cette seconde fournée. On rencontre encore 2 grands disparus: Tim Buckley ("Once I Was") et Richard Fariña (avec le sublime "Bold Marauder"). Et puis, quand même, quelques (sur)vivants: Lou Reed ("Pale Blue Eyes" du Velvet Underground), Tom Paxton ("Ramblin' Boy"), Happy Traum ("Golden Bird"), Tom Rush ("On The Road Again") et John Sebastian avec "Coconut Grove". Le choix est plus éclectique et, parmi les invités, on croise sur "Thirsty Boots" Judy Collins, Arlo Guthrie et Tom Rush.
Vous pouvez découvrir The Special Consensus en écoutant son dernier album (ce doit être le treizième du groupe), "The Trail Of Aching Hearts", publié cette année chez Pinecastle.